Haïti: les enfants pris au piège de la violence des gangs
Francesca Merlo – Cité du Vatican
Après avoir subi des années de colonialisme sous la domination française, les Haïtiens, qui avaient d'abord payé le prix de leur liberté par le sang, ont ensuite été contraints de la payer en cash. L'accord conclu avec la France exigeait qu'Haïti paie l'équivalent de ce qui vaut aujourd'hui 21 milliards de dollars pour sa libération de la tutelle française. Le pays a payé des réparations à la France pendant 120 ans, pour ne s'arrêter qu'en 1947. Cette dette, qui impliquait que les descendants des personnes asservies paient les familles de leurs anciens propriétaires d'esclaves, représentait environ 50 % des revenus d'Haïti à l'époque. Haïti ne pouvait donc pas investir dans les domaines de l'éducation, les infrastructures ou les soins de santé.
L'héritage du colonialisme
Selon Gaby Breton, directrice humanitaire et des partenariats de Save the Children en Haïti, ce manque d'investissement se fait encore sentir aujourd'hui. «L'héritage du colonialisme continue d'avoir un impact sur la capacité d'Haïti à créer une société juste et équitable».
Dans une interview accordée à Vatican News, elle explique que la crise économique à laquelle Haïti est confrontée depuis des décennies a conduit à une pauvreté extrême, rendant davantage de personnes vulnérables. «Cela crée les conditions parfaites pour le recrutement des gangs. Lorsqu'il n'y a pas d'opportunités et que l'économie s'effondre, les gangs étendent leurs territoires. Aujourd'hui, ils contrôlent près de 85 % de la capitale», affirme la directrice.
Dans ce «cycle de violence sans fin», ce sont les enfants qui sont les plus touchés. Plus de 150 gangs contrôlent et étendent leurs territoires, et le recrutement d'enfants dans les gangs armés a augmenté de 70 % au cours de l'année écoulée. Ces enfants n'ont pas d'autre choix et s'enrôlent dès qu'ils en ont l'occasion.
Par ailleurs plus de 700 000 personnes ont été déplacées de la capitale haïtienne, Port-au-Prince, depuis le début de l'année 2024. Pour échapper à la violence, les enfants et leurs familles se réfugient souvent dans les écoles. «Mais lorsque ces familles déplacées se réfugient dans les écoles, les enfants qui les fréquentaient ne peuvent plus étudier car les écoles sont surchargées. Des centaines de milliers d'enfants ne sont pas scolarisés, et les écoles étaient souvent leur seule certitude de recevoir un repas», indique Gaby Breton. C'est pourquoi les enfants sont recrutés par les gangs. Le cercle vicieux créé par le manque de scolarisation et d'opportunités économiques signifie que les familles luttent pour gagner de l'argent et trouver de la nourriture. «Les gangs attirent souvent les enfants avec de la nourriture ou de petites sommes d'argent pour qu'ils servent d'espions ou fournissent des informations. C'est un moyen pour les enfants de survivre».
Ce que signifie réellement l'adhésion à un gang
Une fois que l'on fait partie d'un gang, on ne peut plus le quitter. «Aucun enfant ne veut rejoindre un gang, mais lorsqu'ils n'ont rien à manger, ils pensent qu'ils n'ont pas le choix. Les gangs offrent des repas de base ou de petites sommes d'argent», rapporte Gaby Breton. «La plupart des enfants ne veulent pas rejoindre un gang. Mais quand il n'y a rien à manger, on n'a pas vraiment le choix. S'ils n'obéissent pas, ils peuvent être tués», déclare-t-elle.
Que signifie pour un enfant d'être forcé à commettre des crimes violents? Au fil du temps, cette violence forcée devient la norme pour eux. Les gangs affirment leur domination en brûlant des maisons, en blessant des gens et en violant des femmes. «C'est une situation horrible», déclare Gaby Breton, qui ajoute que: «les enfants sont pris au piège, exposés à une violence inimaginable et exploités à tous les niveaux».
Gaby Breton se souvient aussi d'un appel téléphonique qu'elle a eu avec une mère de quatre enfants. Son fils de 14 ans avait été recruté par un gang alors qu'elle ne parvenait pas à nourrir ses enfants en raison de sa situation économique. «Elle m'a dit que son fils n'était rentré qu'une fois en six mois pour donner de l'argent à son frère et qu'il était reparti. Tout en craignant pour sa vie, elle s'inquiète également de voir sa communauté se retourner contre sa famille parce que son fils fait désormais partie d'un gang».
L'espoir au milieu du désespoir
Malgré les nombreux défis auxquels les Haïtiens sont confrontés, des lueurs d'espoir émergent des efforts des organisations locales et internationales.
Des programmes tels que ceux menés par Save the Children, en collaboration avec des organisations locales, font une différence tangible dans ce contexte désastreux. Gaby Breton souligne que son ONG offre des espaces sécurisés aux enseignants et aux enfants, ainsi qu'un soutien psychologique aux victimes, notamment aux femmes et aux filles qui ont subi des violences sexuelles. L'organisation mène aussi des actions par le biais d'initiatives communautaires pour empêcher le recrutement dans les gangs. Ces efforts au niveau local témoignent de la force et de la détermination du peuple haïtien, qui refuse de laisser la violence définir son avenir.
Un appel à la communauté internationale
La directrice humanitaire et des partenariats de Save the Children lance un appel à l’endroit de la communautés internationale. Alors que l'«occident regarde ailleurs», il est essentiel de continuer à se concentrer sur Haïti. Car selon elle, «chaque enfant haïtien mérite de pouvoir rêver d'un avenir meilleur», et «chaque enfant mérite l'éducation, la sécurité mais aussi la possibilité de grandir sans crainte».
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