Tchad: investir dans la lutte contre le terrorisme pour sécuriser la population
Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican
L’armée tchadienne poursuit sa contre-offensive pour combattre Borko Haram, après l’attaque terroriste de la nuit de dimanche 27 à lundi 28 octobre contre une base militaire située sur l'île de Barkaram, qui «a coûté la vie à une quarantaine…. de soldats tchadiens», selon un communiqué officiel, publié mardi 29 octobre par le porte-parole du gouvernement. Pour Evariste Ngarlem Toldé, Docteur en Sciences politiques, enseignant chercheur à l’Université du Tchad, il n’est pas facile de cerner et d’attaquer une force obscure comme Boko Haram. Le gouvernement essaie de faire de son mieux pour ramener le calme et la confiance dans la population, déclare le politologue, tout en estimant que le pays doit s’investir davantage dans la lutte contre les groupes terroristes qui sévissent dans ses régions, afin de mieux sécuriser la population. Nous vous proposons l’intégralité de l’interview qu’il a accordée à Radio Vatican – Vatican News.
Un assaut a été mené dans la nuit de dimanche 27 octobre à lundi 28 octobre, contre une base militaire située sur l'île de Barkaram, et «a coûté la vie à une quarantaine… de soldats tchadiens », selon un communiqué officiel, publié mardi 29 octobre par le porte-parole du gouvernement Abderaman Koulamallah. Quelle est la situation actuellement?
La situation à l'heure actuelle est que les combats se poursuivent, même s'ils ont diminué d'intensité parce que le chef de l'Etat est monté lui-même au front pour diriger les opérations. En ce moment l'ennemi semble être défait. L'ennemi semble être repoussé et l'armée tchadienne est en train d'opérer ce qu'on appelle dans le jargon, le ratissage, pour ramener la sécurité autour de cette région-là.
Le gouvernement tchadien a appelé la communauté internationale à intensifier son soutien et à renforcer l'aide dans la lutte contre le terrorisme en particulier dans la région du Sahel et du bassin du Lac Tchad. Y a-t-il eu des réactions, des apports de la part d’autres Etats ou organisations internationales?
C'est vrai, le gouvernement a lancé un appel à l'aide et au soutien à la communauté internationale, mais jusque-là, la plupart des pays amis sont restés l'arme au pied et il n’y a eu aucun geste significatif de la part de ceux-là sur qui le Tchad pourrait compter. Mais je crois que le Tchad, seul, est en train de mener l'offensive contre les Boko Haram. Pour le moment, les pays voisins, notamment le Cameroun, le Niger, le Nigeria, sont aussi en état d'alerte. Mais en ce qui concerne la communauté internationale, comme vous le dites, personne n'a encore réagi. Quand bien même, le Tchad tend toujours l'oreille vers ceux-là qui pourraient réagir, ceux qui ont toujours réagi chaque fois que la stabilité est menacée dans le Sahel ou dans la région du lac Tchad. On espère que c'est une question de temps.
Quel est l'impact de ces attaques sur l'action du gouvernement et sur les populations tchadiennes? Et aussi, quel est l'impact des opérations que mènent actuellement l'armée du Tchad dans cette région?
En ce qui concerne l'impact de cette opération, cela a permis quand même de ramener le calme et la quiétude dans la région concernée. Aujourd'hui plus qu'hier, les populations de ces différentes localités vaquent à leurs occupations. Aujourd'hui, c'est une région plus ou moins stable, quand bien même l'ennemi n'est pas totalement défait parce que c'est un ennemi insaisissable. Vous savez, Boko Haram résiste à presque quatre pays. Imaginez-vous? Ce n'est pas un combat classique. C'est des hommes en armes qui viennent combattre et après ils se fondent dans la population. Donc l'impact de cette opération permet quand même à la population locale d'être rassurée et d'être sécurisée pour le moment. Et cela commence à redonner confiance aux différentes couches sociales et même à ceux qui travaillent dans cette région-là.
Le calme regagne donc cette région et la population retrouve confiance…
J'ajouterai qu'il y a une psychose au niveau de la capitale. D'aucuns pensent que dans la capitale et dans certaines grandes villes il y ait une infiltration des éléments Boko Haram. Je crois que c'est des fausses rumeurs. C'est des fausses nouvelles qui ont été colportées sur les réseaux sociaux. Mais les forces de défense et de sécurité sont massivement déployées pour parer à toute éventualité. Donc, il y a ces rumeurs qui circulent. Mais il faut reconnaître que ce sont des fausses rumeurs, ce qui a paniqué un peu la population à un certain moment. Mais aujourd'hui, de plus en plus, la population est rassurée.
Estimez-vous que le gouvernement tchadien déploie les moyens nécessaires pour contrer le terrorisme, des groupes comme Boko Haram par exemple?
Dire que le gouvernement déploie des moyens nécessaires pour contrer le terrorisme, c'est difficile. Nous sommes dans une guerre asymétrique, donc il est difficile pour n'importe quel État. Imaginez-vous, même le Nigeria, qui est une grande puissance militaire en Afrique, n'arrive pas à venir à bout de Boko Haram. Ce n'est pas donc le Tchad tout seul qui peut résoudre ce problème-là. Quand même il est vrai qu'on n'est pas une puissance militaire, le Tchad fait de son mieux pour contrecarrer cette barbarie. Le Tchad intervient un peu partout sur le continent pour sauver certains pays. Donc en ce qui concerne le territoire national tchadien, en ce qui concerne l'intégrité du territoire, les forces de défense et de sécurité feront tout pour contrer ces terroristes de Boko Haram. Et aujourd'hui plus qu'hier, de plus en plus, on estime que la population commence à redonner de plus en plus confiance aussi aux forces de défense et de sécurité qui se déploient nuit et jour sur le territoire national., pour contrer surtout les menaces qui viennent toujours des environs du lac Tchad. On se souviendra qu'il y a quatre ans, ils avaient opéré mais avaient été défaits. Aujourd'hui, c'est encore la même chose, même s'ils ont fait une quarantaine de morts. Je crois que ça a été l'effet de surprise. Et c'est là où on voit le côté faible du gouvernement qui n'arrive pas à faire de la prévention. Parce que la guerre, ce n'est pas seulement les armes, c'est aussi les renseignements. C'est de ce côté là que le gouvernement tchadien s'est laissé encore prendre au dépourvu. C’est ce qui a fait regretter des morts et des blessés dans les rangs de l’armée.
Après l’assaut terroriste sur l'île de Barkaram, le Tchad a lancé une contre-offensive pour traquer Boko Haram. Mais il a été accusé d’avoir visé également des civiles, ce que le gouvernement a démenti. Que sait-on de cette situation?
Boko Haram, ce ne sont pas des militaires, même si dans notre jargon, on parle de mouvement politico-militaire. Boko Haram, c'est d'abord des civils. Ce sont des gens qui viennent affronter. Parfois, ils viennent en tenue militaire, mais qui se fondent dans la population. Donc dire que le Tchad s'en est pris aux civils est faux. Il faut peut-être dire: le Tchad n'a pas pu faire le distinguo entre Boko Haram et la population. C'est vrai. Il peut arriver que des populations civiles puissent trouver la mort, mais c'est dans ces genres de combats asymétriques. Il est difficile quand même de faire la part des choses, même si aujourd'hui, on peut regretter que certains civils aient trouvé la mort. Mais c'est une zone qui est déclarée, d'abord une zone de guerre et une zone militaire où on ne peut trouver que des militaires. Je crois que c'est d'abord comme ça qu'il faut voir les choses. Et maintenant, s'il y a des civils, notamment des pêcheurs ou autres, qui se trouvent là, il y a aussi beaucoup d’ennemis qui en profitent pour se fondre dans cette population-là. Dans une telle situation de confusion, le gouvernement ne peut pas savoir qui est Boko Haram et qui ne l'est pas.
Quelles sont les chances pour le Tchad d’éradiquer définitivement le terrorisme?
Les chances pour le Tchad d'éradiquer Boko Haram? Non. Éradiquer c'est trop dire. On peut parler peut-être d'amoindrir ses capacités de nuisance. Mais Boko Haram, qui résiste même au grand Nigeria, ce n'est pas seulement le Tchad qui peut réussir à l’éradiquer. Non, on ne peut pas éradiquer Boko Haram, qui est un phénomène indestructible. Aujourd'hui encore, avec l'armée islamique en Afrique de l'Ouest qui évolue, à ses côtés, il est difficile de parler d'éradication de Boko Haram. C'est depuis 2009 que Boko Haram existe, ça fait déjà quinze ans que quatre pays, unis, n'arrivent pas à le mettre à genoux. Il est difficile aujourd'hui pour le Tchad de chercher à éradiquer, mais on peut estimer, espérer que le Tchad peut valablement et facilement venir à bout quand même de ceux-là qui font leur incursion sur le territoire national tchadien, notamment dans les îles du lac Tchad. Et là, au moins, c'est tout le monde qui reconnaît aux forces de défense et de sécurité du Tchad leur capacité à contrer avec une certaine véhémence, une certaine rapidité aussi. Ça, on le reconnaît. Donc le Tchad peut, surtout, amoindrir les capacités de nuisance de Boko Haram.
Merci beaucoup. Un mot de la fin de votre part?
Bien, le mot de la fin, c'est que le Tchad doit se préparer à parer à toutes les éventualités. Parce qu'il y a quatre ans, il s'est laissé surprendre. Donc cette fois ci, il ne faut pas attendre encore deux, trois, quatre ans pour se laisser surprendre. Il faut que les forces de défense et de sécurité soient en alerte maximum dans cette région, parce que Boko Haram, on ne sait pas qui est Boko Haram, qui ne l'est pas. On ne sait pas qui est terroriste et qui ne l'est pas. C'est des gens qui vivent avec vous, qui vous surprennent et qui vous attaquent. Donc il faudrait bien que de ce côté-là, le pouvoir tchadien puisse songer déjà à militariser même à outrance cette zone pour venir à bout de ceux-là qui font des incursions sur le territoire national tchadien.
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