François au lac Sainte-Anne: «L’Église aussi est femme, elle est mère»
Marine Henriot – Envoyée spéciale au lac Sainte-Anne, Canada
Pour la première fois depuis son arrivée au Canada, le Pape François a pu sentir sur les rives du lac Sainte-Anne une réelle liesse populaire. Le long du chemin qui mène au lac, appelé «Lac de l'Esprit» par le peuple Cree, des centaines de pèlerins ont apporté chaises et parasols, attendant avec impatience le passage du Pape François. Parmi la foule, Michael Zol qui est venu avec sa femme depuis la réserve de River Cree Enok, à 50 kilomètres de là. Le couple et leurs amis sont arrivés à 9 h ce matin: «c’est excitant de voir le Pape en personne», s’exclame-t-il.
Après une rencontre avec des chefs locaux vers 17h heure locale, le Saint-Père a débuté son parcours en fauteuil roulant, accompagné des tambours, saluant la foule enthousiaste sur son passage et allant se recueillir au bord de l’eau, actuellement touchée par une vague de pollution aux algues à cause de la chaleur. Également postée derrière les barrières devant lesquelles passe François, Alice Rapska de la Cree Nation. Depuis 40 ans, elle vient chaque année en famille au lac Sainte-Anne «mais avec la Covid, cela fait trois ans qu’il n’y a pas eu de pèlerinage, nous retrouvons enfin ici nos vieux amis».
Sous les applaudissements de la foule et sous une température culminant à 30 degrés, François a ensuite rejoint un hangar en bois sous lequel il a célébré la liturgie de la parole, entouré des chefs autochtones.
Le battement maternel de la terre
«âba-wash-did ! Tansi ! Oki! ». C’est avec un bonjour en langue cree que le Saint-Père a commencé son homélie, touché a-t-il dit, par le son des tambours qui l’a accompagné partout où il est allé. Ici dans l’Alberta, François a dit ressentir le battement choral d’un peuple pèlerin, et ici sur les rives de ce lac sacré, se fait entendre un autre battement, «le battement maternel de la terre».
Le Souverain pontife a construit sa réflexion autour du retour aux sources de la vie et aux sources de la foi. Jésus, a-t-il expliqué, a lui-même accompli une grande partie de son ministère sur les rives d’un lac, le lac de Galilée. Sur ces rives se rencontraient des femmes et des hommes venus de toutes les tranches de la société. «Là, précisément là, Jésus a prêché le Règne de Dieu: non pas à des personnes religieuses sélectionnées, mais à des populations diverses qui affluaient de partout». Ainsi, c’est le théâtre naturel que choisit Dieu pour «annoncer au monde quelque chose de révolutionnaire: “tendez l’autre joue, aimez les ennemis, vivez en frères pour être des enfants de Dieu, un Père qui fait resplendir le soleil sur les bons comme sur les méchants et qui fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes”».
Encore nommé «Lac de Dieu» par les Sioux Nakota, cet endroit est «métissé de diversité» a continué François, il est devenu le lieu d’une «révolution sans morts ni blessés, la révolution de l’amour».
La kokum, figure de la famille
De nombreux ainés ont fait le déplacement en ce jour de la Sainte-Anne, sous le regard toujours attentif de leurs proches ou anonymes qui veillent à leur bien-être. Pour les Premières nations, Métis et Inuits, les grands-parents représentent des figures de sagesse et selon la cosmologie autochtone de l’Est, c’est une figure féminine qui est à l’origine de la création du monde, avant de monter dans le ciel pour devenir la lune.
C’est donc tout naturellement que le Pape a tenu à s’adresser aux grands-mères présentes dans la foule de pèlerins: «mes chères, vos cœurs sont les sources d’où a surgi l’eau vive de la foi, avec laquelle vous avez désaltéré enfants et petits-enfants.» Frappé par le rôle essentiel des femmes dans les sociétés autochtones, François a eu une pensée pour sa «Kokum», grand-mère en langue cree; c’est d’elle qu’il a reçu sa première annonce de la foi, une foi qui se transmet «dans un climat familier», transmise «dans la langue des mères, par le doux chant en dialecte des grands-mères».
Ces mères et grand-mères aident à guérir les blessures du cœur, l’exemple avec Notre-Dame de Guadalupe, «qui transmit la foi droite aux autochtones, en parlant leur langue et en portant leurs vêtements, sans violences ni impositions.» Une «inculturation maternelle» a continué l’évêque de Rome, advenue ici par l’intermédiaire de sainte Anne, qui a unit «la beauté des traditions autochtones et de la foi, et en les façonnant avec la sagesse d’une grand-mère, qui est mère par deux fois. L’Église aussi est femme, elle est mère.»
«Vous êtes précieux pour l’Église»
La veille, sur le territoire de Maskwacis, auprès des survivants des écoles résidentielles et de leur famille, François a répété ses excuses pour le comportement de nombreux membres de l’Église, expliquant que cette demande de pardon n’était pas un point final mais celui du départ.
Ce mardi, sur les vertes rives du lac sacré, il a distillé des précisions pour la suite du chemin de guérison entre l’Église et les communautés autochtones: «Parfois, une bonne façon d’aider une autre personne consiste à ne pas lui donner tout de suite ce qu’elle demande, mais à l’accompagner, à l’inviter à aimer, à se faire don. Parce que c’est de cette façon que, par le bien qu’elle pourra faire aux autres, elle découvrira ses fleuves d’eau vive, qu’elle découvrira le trésor unique et précieux qu’elle est»
«Je suis venu comme pèlerin également pour vous dire à quel point vous êtes précieux pour moi et pour l’Église», a conclu le Saint-Père, en souhaitant que l’Église «soit tissée à vous, comme sont serrés et unis les fils des bandes colorées des tissus que nombreux d’entre vous portent», a conclu le Saint-Père, suscitant des applaudissements.
Un lieu de pèlerinage historique
Selon la tradition orale des Premières nations, le lac aurait toujours été habité par les esprits. Avant l’arrivée des Européens, rappelle l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, c’était un lieu de rassemblement, de pêche, de chasse et de cérémonie, comme celle de la danse du soleil, interdite en 1885. Appelé «Lac des esprits» ou «Lac Sacré», le lac Sainte-Anne hérite de son nom actuel du père Jean-Baptiste Thibault, prêtre séculier envoyé en mission dans la région et qui en fera un lieu de mission catholique.
Le premier pèlerinage annuel a été organisé par les oblats en juillet 1889 et 400 personnes y ont participé. Depuis, chaque année pendant la semaine de la fête de la Sainte-Anne, des milliers de pèlerins s’y rendent chaque année. Le site a été déclaré lieu historique national par le gouvernement canadien en 2004.
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