Soudan du Sud: le Pape invite les religieux à élever la voix contre l'injustice
Myriam Sandouno – Cité du Vatican
François qui depuis longtemps, nourrissait le désir de rencontrer les membres du clergé du Soudan du Sud, a tout d’abord exprimé sa gratitude à Mgr Tombe Trille, évêque d'El Obeid et président de la Conférence épiscopale du Soudan et du Soudan du Sud, devant 1000 personnes rassemblées dans la cathédrale sainte Thérèse, et environ 5000 personnes devant l'édifice. Une présence qui pour certains de ces fidèles et religieux, a nécessité plusieurs jours de voyage.
Dans son discours, s’appuyant sur le parcours de Moïse qui a conduit le peuple de Dieu à travers le désert, le Saint-Père a invité à se demander ce que signifie «être ministres de Dieu» dans une histoire traversée par la guerre, la haine, la violence, la pauvreté; et également à s’interroger sur: «comment exercer le ministère sur cette terre, sur les rives d’un fleuve baigné de tant de sang innocent», alors que les visages des personnes sont striés par les larmes de la souffrance. Deux attitudes de Moïse attirent l’attention du Pape: la docilité et l’intercession.
Le piège de compter sur ses propres forces
Le premier élément marquant de l'histoire de Moïse réside dans sa docilité à l’initiative de Dieu, note François, rappelant cependant que cela n’a toujours été pas ainsi. Au début, précise le Pape, il avait la prétention de mener seul la tentative de lutter contre l’injustice et l’oppression.
Sauvé des eaux du Nil par la fille du Pharaon, Moïse se laisse toucher par la souffrance et l’humiliation de ses frères lorsqu’il découvre son identité, si bien qu’un jour il décide de se faire justice tout seul, en frappant à mort un égyptien qui maltraite un juif. Suite à cet épisode il doit fuir et rester dans le désert de nombreuses années. Il y fait l’expérience d’une sorte de «désert intérieur».
Moïse avait pensé affronter l’injustice par ses seules forces, explique le Saint-Père, et maintenant, en conséquence, il se retrouve comme un fugitif devant se cacher, vivant dans la solitude, éprouvant le sentiment amer de l’échec. En effet, il commet une erreur, lance le Pape, celle de «penser qu’il était le centre, ne comptant que sur ses propres forces». Mais il était ainsi devenu prisonnier des pires méthodes humaines, comme celle de «répondre à la violence par la violence».
«Nous pensons que nous sommes le centre»
A travers l’histoire de Moïse, le Pape pointe du doigt, devant les membres du clergé Sud-Soudanais, une attitude dans leur vie qui parfois démontre «que nous pensons que nous sommes le centre, que nous pouvons compter, sinon en théorie du moins en pratique, presque exclusivement sur notre talent»; ou, en tant qu’Église, «que nous trouvons la réponse aux souffrances et aux besoins du peuple dans des moyens humains, comme l’argent, la ruse, le pouvoir», ajoute le Pape, rappelant «qu’au contraire, notre œuvre vient de Dieu: Il est le Seigneur et nous sommes appelés à être des instruments dociles entre ses mains».
Être docile et se laisser guider par le Seigneur
Et cela, Moïse l’apprend lorsqu’un jour, Dieu vient à sa rencontre, en lui apparaissant dans «la flamme d’un buisson en feu» (Ex 3, 2). Il se laisse attirer, il fait place à l’émerveillement, il se met dans une attitude de docilité pour se laisser éclairer par le charme de ce feu devant lequel il pense: «je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire: pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas?» (v. 3). Pour le Pape, c’est là un modèle de docilité nécessaire au ministère: «s’approcher de Dieu avec émerveillement et humilité, se laisser attirer et diriger par Lui», car, souligne François, «la primauté ne nous revient pas, mais à Dieu, en nous en remettant à sa Parole avant d’utiliser nos propres mots, en accueillant docilement son initiative avant de nous concentrer sur nos projets personnels et ecclésiaux».
Poursuivant, le Pape François explique que le fait de «se laisser docilement modeler nous fait vivre le ministère d’une manière renouvelée». Devant le Bon Pasteur, «nous comprenons que nous ne sommes pas des chefs tribaux, mais des pasteurs compatissants et miséricordieux; non pas les maîtres du peuple, mais des serviteurs s’abaissant pour laver les pieds des frères et sœurs; non pas une organisation mondaine administrant des biens terrestres, mais la communauté des enfants de Dieu».
Se dépouiller et avoir une intimité avec Dieu
L’évêque de Rome exhorte à suivre l’exemple de Moïse sous le regard de Dieu: «enlevons nos sandales avec un humble respect (cf. v. 5), dépouillons-nous de notre présomption humaine, laissons-nous attirer par le Seigneur et cultivons la rencontre avec Lui dans la prière», invitant également ces prêtres, religieux, religieuses et séminaristes du Soudan du Sud, à être plus proches du mystère de Dieu, «afin qu’Il brûle les broussailles de l’orgueil et de nos ambitions démesurées et faire de nous d’humbles compagnons de route de ceux qui nous sont confiés», affirme François.
L’intercession
Tout comme Moise qui a fait l’expérience d’un Dieu compatissant, ne restant pas indifférent au cri de son peuple, descendu pour le délivrer, ainsi, «ceux qui font son expérience sont amenés à l’imiter». Et Moïse, qui «descend» au milieu des siens, l’a fait plusieurs fois au cours de la traversée du désert. C’est en effet, dans les moments les plus importants et les plus difficiles, qu'il monte et descend de la montagne de la présence de Dieu afin d’intercéder pour le peuple, c’est-à-dire de se mettre à l’intérieur de son histoire pour le rapprocher de Dieu.
Soulignant cet aspect important de l’intercession, le Pape explique qu’intercéder «ne signifie pas simplement prier pour quelqu’un, comme nous le pensons souvent». Étymologiquement, cela signifie «faire un pas au milieu, faire un pas pour se mettre au milieu d’une situation». Intercéder, ajoute-t-il, c’est donc «descendre pour se mettre au milieu du peuple, pour “devenir des ponts” qui le relient à Dieu».
Être une Église au milieu de la souffrance du peuple
Le Pape invite également ces pasteurs de l’Église à développer l’art de «marcher au milieu» de la souffrance et des larmes, de la faim de Dieu et de la soif d’amour des frères et sœurs. «Notre premier devoir n’est pas d’être une Église parfaitement organisée, mais une Église qui, au nom du Christ, se tient au milieu de la vie souffrante du peuple et se salit les mains pour les gens», dit-il, déconseillant de ne jamais exercer le ministère en recherchant «le prestige religieux et social», mais en «marchant au milieu et ensemble, en apprenant à écouter et à dialoguer, en collaborant entre nous ministres et laïcs».
Cultiver l’amour et le respect mutuel dans le clergé
Le Saint-Père exhorte également à fournir des efforts pour surmonter «entre nous la tentation de l’individualisme, des intérêts partisans», déplorant que des pasteurs ne soient pas capables «de communion, ne réussissent pas à coopérer, voire s’ignorent mutuellement!». «Cultivons le respect mutuel, la proximité, la coopération concrète. Si cela ne se produit pas entre nous, comment pouvons-nous le prêcher aux autres?», s’interroge François.
Se focalisant à nouveau sur le cheminement de Moïse, à travers l’intercession, le Pape met en lumière trois images de l’Écriture: Moïse avec le bâton à la main, Moïse avec les mains tendues, et Moïse avec les mains levées vers le ciel. La première, selon lui, «nous montre qu’il intercède par la prophétie», accomplissant avec ce bâton, des prodiges, des signes de la présence et de la puissance de Dieu au nom duquel il parle, «dénonçant avec force le mal dont souffre le peuple et demandant au Pharaon de le laisser partir».
Élever la voix contre l’injustice
«Pour intercéder en faveur de notre peuple, nous sommes également appelés à élever la voix contre l’injustice et la prévarication», qui, déclare François, écrasent les gens et utilisent la violence pour gérer les affaires à l’ombre des conflits. Dans ce pays de 12 millions d’habitants, qui a sombré dans une guerre civile en décembre 2013 lorsque le Président Salva Kiir a accusé son ancien Vice-Président Riek Machar d’avoir tenté un coup d’Etat, le Pape invite les pasteurs de l’Église à «ne pas rester neutres face à la douleur causée par les injustices et les violences», car «là où une femme ou un homme est lésé dans ses droits fondamentaux, le Christ est offensé», souligne-t-il.
Dieu, proche de nous
En ce qui concerne la deuxième image, celle de «Moïse avec les mains tendues», François relève que les mains de Moïse sont le signe que Dieu est sur le point d’agir. L’Écriture nous dit qu’il «étendit les bras sur la mer» (Ex 14, 21). Ensuite, Moïse tiendra les tables de la Loi dans ses mains (cf. Ex 34, 29) pour les montrer au peuple. «Ces mains tendues indiquent la proximité de Dieu qui est à l’œuvre et qui accompagne son peuple», dit le Pape. En effet, pour libérer du mal, la «prophétie ne suffit pas, il faut tendre les bras à ses frères et sœurs, soutenir leur marche», note-t-il.
Tendre la main à nos proches
Après quarante ans, Moïse devenu vieux, reste proche des siens: «voilà la proximité», affirme le Souverain pontife. La tâche n’a certes pas été facile pour lui: il a souvent dû relancer un peuple découragé et fatigué, affamé et assoiffé, s’abandonnant aux murmures et à la paresse. Et pour accomplir cette tâche, François ajoute que Moïse a dû aussi lutter contre lui-même, car il a parfois connu des moments d’obscurité et de désolation, comme lorsqu'il a dit au Seigneur: «pourquoi traiter si mal ton serviteur?»
A l'instar de Moïse qui n’a pas reculé, restant toujours proche de Dieu, ne s’étant jamais éloigné des siens, «nous aussi, déclare le Saint-Père, nous avons ce devoir: tendre la main, relever nos frères, leur rappeler que Dieu est fidèle à ses promesses, les exhorter à avancer». «Nos mains ont été “ointes de l’Esprit” non seulement pour les rites sacrés, mais pour encourager, aider, accompagner les personnes à sortir de ce qui les paralyse, les enferme, les rend craintives», rappelle-t-il aux membres du clergé Soudanais.
«Les mains levées vers le ciel»
L’autre qualité de Moïse évoquée par François est sa patience. Lorsque le peuple tombe dans le péché, l’idolâtrie et se fabrique un veau d’or, Moïse remonte sur la montagne et prononce une prière, comme une véritable lutte avec Dieu pour qu’il n’abandonne pas Israël. Il va jusqu’à dire: «ce peuple a commis un grand péché: ils se sont fait des dieux en or. Ah, si tu voulais enlever leur péché! Ou alors, efface-moi de ton livre, celui que tu as écrit.» (Ex 32, 31-32).
Confronté à une telle situation, l’homme de Dieu n’abandonne pas son peuple. Il reste aux côtés du peuple jusqu’au bout. Il lève la main en sa faveur. Il ne pense pas à se sauver seul. Il ne vend pas le peuple pour ses propres intérêts. Il intercède, lutte avec Dieu et garde les bras levés en prière pendant que ses frères se battent dans la vallée (cf. Ex 17, 8-16). «Soutenir les luttes du peuple par la prière devant Dieu, implorer le pardon, administrer la réconciliation en tant que canaux de la miséricorde de Dieu qui pardonne les péchés: tel est notre devoir d’intercesseurs!» affirme le Souverain Pontife.
Une mission de Dieu avec des risques et sacrifices
Dans la mission que le Seigneur confie, être prophète, accompagnateur, intercesseur, montrer par sa vie le mystère de la proximité de Dieu avec son peuple «peut même coûter la vie», souligne François. «Beaucoup de prêtres, de religieuses et de religieux ont été victimes de violences et d’attaques au cours desquelles ils ont perdu la vie» dit-il. Ces hommes et femmes consacrés, estime le Saint-Père, ont en réalité offert leur existence pour la cause de l’Évangile, et leur proximité avec leurs frères et sœurs est «un merveilleux témoignage qu’ils nous laissent, et qui nous invite à poursuivre leur chemin».
Le Pape se souvient ainsi de Saint Daniele Comboni qui, avec ses frères missionnaires, a réalisé une grande œuvre d’évangélisation sur ces terres: il disait que «le missionnaire doit être prêt à tout pour le Christ et l’Évangile, et qu’il faut des âmes audacieuses et généreuses qui sachent souffrir et mourir pour l’Afrique».
Au terme de son intervention, François à adressé ses remerciements à tous les évêques, prêtres, diacres, consacrés, religieuses et séminaristes Sud-Soudanais, pour leur dévouement et leurs efforts fournis au «milieu de tant d’épreuves». Il les a exhortés à être toujours des pasteurs et des témoins généreux, armés uniquement de la prière et de la charité. Des prophètes qui se laissent docilement surprendre par la grâce de Dieu et qui deviennent des instruments de salut pour les autres, des accompagnateurs pour le peuple, «des intercesseurs aux bras levés».
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