Écouter, discerner, marcher: la feuille de route du Pape pour la Curie
Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican
Travailler au sein de la Curie romaine, c’est «accomplir un itinéraire de foi», a dit François aux membres de cette noble administration vaticane, reçue en audience jeudi 21 décembre à l’occasion de l’échange des vœux de Noël. Un itinéraire nécessairement à l’écoute de la Parole de Dieu, à un moment «encore tristement marqué par les violences de la guerre, par les risques historiques auxquels nous sommes exposés en raison du changement climatique, de la pauvreté, de la souffrance, de la faim, et d’autres blessures qui habitent notre histoire». Dans ces «lieux de douleur» aussi, Dieu se fait homme dans la mangeoire pour apporter «proximité, tendresse et compassion» à l’humanité. Et le rôle des acteurs de la Curie romaine est «d’écouter l’annonce du Dieu qui vient, de discerner les signes de sa présence», et de marcher derrière Lui. Ainsi sur ces trois verbes, écouter, discerner, marcher, l’évêque de Rome articule ses vœux à la Curie.
Marie à l’écoute de l’Ange
La «Vierge de l’écoute», celle qui a prêté l’oreille à l’annonce de l’Ange, et a ouvert son cœur au projet de Dieu. C’est le premier aspect développé par François. Écouter, c’est accueillir le don de l’amour de Dieu qui vient à la rencontre de l’humanité. Et écouter, non seulement avec les oreilles, mais avec le cœur «est bien plus qu’entendre un message ou échanger des informations», c’est une «écoute intérieure capable de comprendre les désirs et les besoins de l’autre, une relation qui nous invite à dépasser les schémas et à vaincre les préjugés». Et c’est donc le début d’un cheminement. Marie, elle, a-t-il poursuivi, écoute l’Archange Gabriel «avec humilité et émerveillement». Presque «à genoux», elle s’ouvre totalement à Dieu. «Écouter “à genoux” est la meilleure façon d’écouter vraiment, parce que nous ne sommes pas devant l’autre dans la position de ceux qui pensent déjà tout savoir», a affirmé le Souverain pontife, glissant comme un conseil aux membres de la Curie. Et de préciser sa pensée: «Parfois, même dans la communication entre nous, nous risquons d’être comme des loups rapaces: nous essayons immédiatement de dévorer les paroles de l’autre sans les écouter vraiment, et nous lui renvoyons immédiatement nos impressions et nos jugements».
C’est donc à repartir d’une autre approche que le Pape a invité ses hôtes: à la prière. «Elle élargit le cœur, fait descendre notre égocentrisme de son piédestal, nous éduque à l’écoute de l’autre et suscite en nous le silence de la contemplation». «En Curie aussi, il est nécessaire d’apprendre l’art de l’écoute. Avant nos devoirs quotidiens et nos activités, avant surtout les rôles que nous jouons, il est nécessaire de redécouvrir la valeur des relations», avec ouverture et sincérité.
Le discernement comme méthode
Le discernement est, selon François, un «art de vie spirituelle» qui «dépouille de la prétention de déjà tout savoir, du risque de penser qu’il suffit d’appliquer les règles, de la tentation, même dans la vie de la Curie, de continuer en répétant simplement des schémas». La pratique du discernement spirituel permet de «scruter la volonté de Dieu», avant ensuite «d’évaluer les décisions à prendre et les choix à faire». Et François de citer le cardinal Carlo Mario Martini. L’ancien archevêque de Milan, jésuite, décédé en 2012, définissait le discernement comme «un élan d’amour qui établit la distinction entre le bon et le meilleur». Il ajoutait qu’en absence de discernement la vie pastorale restait monotone, induisant à la répétition des actions religieuses et des gestes traditionnels sans en voir le sens. Or, le discernement «doit nous aider, y compris dans le travail de la Curie, à être dociles à l’Esprit Saint, pour pouvoir choisir les orientations et prendre les décisions» selon l’Évangile.
La longue marche des Mages
C’est le troisième temps de la méthode indiquée par le Successeur de Pierre. Après le temps de l’écoute avec le cœur, après le temps du discernement et de la décision, vient le temps, important, de la marche. François repart de l’accueil de l’Évangile. Un accueil réel et profond de la joie de l’Évangile provoque «un véritable exode de nous-mêmes en nous mettant en route vers la rencontre du Seigneur», une mise en route sur un chemin hors des zones de confort «comme cela a été pour Abraham, pour Moïse, pour les prophètes et pour tous les disciples du Seigneur». La foi chrétienne, rappelle François, ne veut pas «offrir des réponses rapides aux problèmes complexes de la vie». Au contraire, elle invite à une remise en cause des acquis, elle libère, transforme et fait ouvrir les yeux pour faire comprendre à quelle espérance Dieu appelle. D’où l’importance, a dit le Pape aux responsables de la Curie, d’être toujours en marche, de surmonter la tentation de l’immobilisme et de «tourner en rond à l’intérieur de nos enclos et dans nos peurs».
Les peurs, les rigidités et la répétition des schémas, a poursuivi le Saint-Père, pénalisent «le service que nous sommes appelés à offrir à l’Église et au monde entier». Comme les Mages, la Curie romaine est invitée à marcher «en suivant la Lumière qui veut toujours nous conduire au-delà et qui nous fait parfois chercher des sentiers inexplorés». Marcher et regarder vers le haut, repartir de Dieu, c’est l’assurance de se libérer des pièges «de la bureaucratie et de la survie». Enfin, marcher, a-t-il conclu, c’est aimer et sortir des habitudes: «Soixante ans après le Concile, on débat encore de la division entre “progressistes” et “conservateurs”, alors que la différence centrale est entre “amoureux” et “habitués”». Les amoureux étant ceux qui trouveront le courage de marcher pour «transmettre la passion à ceux qui l’ont perdue », et «rallumer les braises sous les cendres de l’Église».
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