Le Pape aux diplomates: la guerre, tragédie et massacre inutile
Xavier Sartre – Cité du Vatican
C’est le discours «politique» du Pape le plus attendu de l’année. Dans le cadre de la salle des Bénédictions de la basilique Saint-Pierre, devant 180 diplomates accrédités près le Saint-Siège, le Pape François a évoqué les principaux conflits en cours et les problèmes généraux qui affectent le monde aujourd’hui. Il a aussi rappelé que «derrière ce tableau» esquissé, «se trouvent des millions de personnes […] dont les visages nous sont pour la plupart inconnus et que nous oublions souvent». Il a enfin ouvert des perspectives, soulignant les différentes voies à explorer et à suivre pour garantir la paix, «don de Dieu» mais en même temps, «notre responsabilité», mot «très fragile» et «exigeant et plein de sens». Il revient donc au Saint-Siège «d’être une voix prophétique et un appel à la conscience» a-t-il rappelé.
Dans ce tableau mondial, François fait d’abord le constat que «l’élan de ce “renouveau profond”» évoqué par son prédécesseur Pie XII dans son message de Noël de 1944, «semble être épuisé» comme le prouve «le nombre croissant de conflits» qui conforte le concept du Pape de «troisième guerre mondiale par morceaux».
Appel à un cessez-le-feu sur tous les fronts
Le Saint-Père réitère en tout premier lieu sa «condamnation» de «l’attaque terroriste contre la population d’Israël du 7 octobre», et «de toutes les formes de terrorisme et d’extrémisme», soulignant que «la forte réponse militaire israélienne à Gaza a entrainé la mort de dizaines de milliers de Palestiniens, en majorité civils parmi lesquels des enfants et des jeunes» et «une situation humanitaire très grave avec des souffrances inimaginables».
D’où l’exhortation à parvenir à «un cessez-le-feu sur tous les fronts», y compris celui du Liban, à «la libération immédiate de tous les otages à Gaza», à l’envoi d’une «aide humanitaire» à la population palestinienne, et à «la protection nécessaire» des hôpitaux, des écoles et des lieux de culte. Le Pape répète la préférence du Saint-Siège pour une «solution à deux États» avec «un statut internationalement garanti pour la ville de Jérusalem».
Poursuivant sur la situation au Proche-Orient, François appelle à ne pas oublier les Syriens et demande à ce que la communauté internationale cherche des solutions pour qu’ils n’aient plus à souffrir des sanctions internationales. Il exprime sa «tristesse» pour les millions de réfugiés syriens qui se trouvent dans la région, notamment au Liban, où il espère que «l’impasse institutionnelle» qui met le pays «de plus en plus à genoux» sera résolue et qu’un président sera bientôt élu.
En Asie, l’évêque de Rome pose son regard sur la Birmanie, «demandant que tous les efforts soient faits pour redonner de l’espoir à cette terre et un avenir digne aux jeunes générations, sans oublier l’urgence humanitaire qui affecte encore les Rohingyas».
François regrette que «la guerre à grande échelle menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine» perdure et devienne «un conflit qui s’enracine de plus en plus, au détriment de millions de personnes». Il «ne peut être autorisé à se poursuivre, mais doit prendre fin par la négociation, dans le respect du droit international», affirme-t-il.
Le rappel de l'indispensable liberté de culte
Autre préoccupation, «la situation tendue dans le Caucase du Sud, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan». Le Successeur de Pierre exhorte les parties «à parvenir à la signature d’un traité de paix» pour «trouver une solution à la situation humanitaire dramatique des habitants», «faciliter le retour des personnes déplacées dans leurs foyers en toute légalité et sécurité» et «respecter les lieux de culte des différentes confessions religieuses présentes».
Concernant l’Afrique, le Pape parle des «événements dramatiques au Soudan» où «aucune issue n’est encore en vue», et du sort des personnes déplacées au Cameroun, au Mozambique, en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. Si aucune guerre n’afflige les Amériques, François évoque les «fortes tensions» entre le Venezuela et le Guyana et «les phénomènes de polarisation qui compromettent l’harmonie sociale et affaiblissent les institutions démocratiques» du Pérou.
Le Saint-Père n’oublie pas le Nicaragua qui vit une crise qui perdure et «aux conséquences douloureuses pour l’ensemble de la société nicaraguayenne, en particulier pour l’Église catholique». «Le Saint-Siège ne cesse d’appeler à un dialogue diplomatique respectueux pour le bien des catholiques et de l’ensemble de la population».
La guerre, un massacre inutile
Tous ces conflits se déroulent dans un contexte où cibles militaires et civils se confondent de plus en plus. Or, interpelle le Pape, «nous ne devons pas oublier que les violations graves du droit international humanitaire sont des crimes de guerre, et qu’il ne suffit pas de les relever, mais qu’il faut les prévenir». Le droit humanitaire semble être à ses yeux «la seule voie pour la protection de la dignité humaine dans les situations de guerre». Concernant les conventions sur la guerre, François rappelle que «quand il s’agit aussi d’exercer le droit à la légitime défense, il est indispensable de se limiter à un usage proportionné de la force».
Derrière ces guerres et ces crises, il y a en effet des victimes qui «ne sont pas des "dommages collatéraux"» mais des hommes et des femmes «avec des noms et des prénoms qui perdent la vie. Ce sont des enfants qui restent orphelins et privés d’avenir. Ce sont des personnes qui souffrent de la faim, de la soif et du froid ou qui restent mutilées à cause de la puissance des engins modernes. Si nous pouvions regarder chacun dans les yeux, l’appeler par son nom et évoquer son histoire personnelle, nous regarderions la guerre pour ce qu’elle est: rien d’autre qu’une immense tragédie et “un massacre inutile” qui affecte la dignité de toute personne sur cette terre.»
Le Pape invite à «poursuivre une politique de désarmement», et propose de nouveau de «créer un fonds mondial pour éradiquer enfin la faim et promouvoir un développement durable de la planète entière». Il insiste encore sur «l’immoralité de la fabrication et de la détention d’armes nucléaires» et espère une reprise des négociations sur le nucléaire iranien.
Pour poursuivre la paix, «il faut encore extirper à la racine les causes des guerres, en premier la faim», «l’exploitation des ressources naturelles» et «des personnes». Il faut aussi lutter contre les catastrophes naturelles et environnementales «imputables à l’action ou à la négligence de l’homme» comme «la déforestation de l’Amazonie». Cela porte le Pape à parler de la crise climatique qui «exige une réponse de plus en plus urgente et demande la pleine implication de tous et de toute la communauté internationale». François se félicite de l’accord conclu à l’issue de la COP28 à Dubaï, preuve qu’il «existe une possibilité de revitaliser le multilatéralisme» «dans un monde où les problèmes environnementaux, sociaux et politiques sont étroitement liés».
Le droit de pouvoir demeurer dans sa patrie
Parmi ces problèmes, il y a ceux en lien avec les migrations, celles de milliers de personnes poussées «à abandonner leur terre à la recherche d’un avenir de paix et de sécurité», et qui sont victimes de «trafiquants d’être humains sans scrupules» responsables comme en Méditerranée, de «tragédies». Cette mer entre l’Afrique, l’Europe et le Proche-Orient, devenue «un grand cimetière», «devrait plutôt être un laboratoire de paix». Là aussi, «nous oublions facilement que nous avons devant nous des personnes avec des visages et des noms et nous oublions la vocation propre de la Mare Nostrum», celle d’être «un lieu de rencontre et d’enrichissement réciproque entre personnes, peuples et cultures».
Le Saint-Père rappelle sa position: «les migrations doivent être réglementées pour accueillir, promouvoir, accompagner et intégrer les migrants, dans le respect de la culture, de la sensibilité et de la sécurité des populations qui prennent en charge l’accueil et l’intégration». Il faut aussi «rappeler le droit de pouvoir demeurer dans sa patrie et la nécessité qui en découle de créer les conditions pour qu’il puisse s’exercer effectivement». Pour cela, «aucun pays ne peut être laissé seul», insiste le Pape.
La pratique regrettable de la "mère porteuse"
François propose alors aux ambassadeurs présents de suivre quelques voies de paix, à commencer par le respect de la vie. Il dénonce la pratique «regrettable» dite de la «mère porteuse», l’enfant étant toujours un cadeau, «jamais l’objet d’un contrat», et appelle à l’interdire au niveau universel. Il fustige aussi «la diffusion persistante d’une culture de la mort qui, au nom d’une fausse piété, rejette les enfants, les personnes âgées et les malades» en Occident. Il critique également «les colonisations idéologiques» qui amènent à introduire de nouveaux droits «qui ne sont pas pleinement importants par rapport à ceux initialement définis» dans la déclaration universelle des droits de l’Homme, et qui ne sont pas «toujours acceptables», pointant du doigt la théorie du genre, «très dangereuse parce qu’elle efface les différences dans la prétention de rendre tous égaux».
Autre voie, le dialogue, «âme de la communauté internationale». Le Saint-Père met en garde contre le risque de paralysie «à cause de polarisations idéologiques, en étant instrumentalisés par des États singuliers». Or, «dialoguer requiert de la patience, de la persévérance et une capacité d’écoute», ce qui est essentiel en matière de dialogue social et politique, «base de la coexistence civile d’une communauté politique moderne». 2024 étant une année électorale pour près de la moitié de la population mondiale, le Pape exhorte les jeunes en particulier à voter, soulignant que la politique est «la forme la plus élevée de la charité».
Le dialogue est aussi interreligieux. Il nécessite «la protection de la liberté religieuse et le respect des minorités» estime François, préoccupé par le sort des minorités chrétiennes, dont certaines «sont menacées d’extinction». 360 millions de chrétiens subissent ainsi «un niveau élevé de persécution et de discrimination» note-t-il, dénonçant entre autres, leur «lente marginalisation et exclusion de la vie politique et sociale et de l’exercice de certaines professions». Il dénonce aussi l’antisémitisme, un «fléau» qui «doit être éradiqué de la société, notamment par l’éducation à la fraternité et à l’acceptation de l’autre».
L’expérience de la miséricorde de Dieu lors du Jubilé 2025
L’éducation, c’est aussi par là que passe le chemin de la paix affirme l’évêque de Rome. Éducation aux nouvelles technologies notamment, pour que leur développement se fasse de manière éthique et responsable, et pour que l’intelligence artificielle «reste au service de l’homme, en favorisant et non en entravant, notamment chez les jeunes, les relations interpersonnelles, un sain esprit de fraternité et une pensée critique capable de discernement».
En saluant le corps diplomatique, le Saint-Père a évoqué le Jubilé de 2025, «un temps de grâce où l’on fait l’expérience de la miséricorde de Dieu et du don de sa paix», un temps dont le monde a besoin peut-être plus que jamais.
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