Singapour, microcosme crucial pour l’avenir du catholicisme en Asie
Delphine Allaire – Envoyée spéciale à Singapour
Ultime étape de ce grand voyage apostolique dans l’Asie-Pacifique, une micro-cité de tous les superlatifs, unique et cosmopolite du Sud-Est asiatique. Aux confins des mondes indiens et chinois, le Pape demeure 48 heures à Singapour, un record pour la cité où Jean-Paul II n’en avait passé que 7 en 1986. L’évêque de Rome a inhabituellement initié sa visite entre les murs translucides de la cité du lion par une rencontre privée avec 25 jésuites locaux et frontaliers, avant l’adresse aux autorités. Le souvenir de l’un des fondateurs de la Compagnie flotte encore, non loin, près du détroit de Malacca. Au cœur des entretiens, le défi des vocations, florissantes à Singapour, mais aussi celui de la formation approfondie et adéquate à notre temps, a rapporté le père Antonio Spadaro SJ, secrétaire du dicastère pour la Culture et l’éducation, membre de la délégation pontificale du voyage.
Fleuron de l'éducation
À la pointe de l’excellence académique, le micro-État abrite les deux premières universités d’Asie du Sud-Est et le premier groupe de réflexion de la sous-région. Dans ces cercles évoluent de nombreux étudiants et personnalités des élites asiatiques à même de façonner le visage de ces Églises locales asiatiques, dynamiques, diplômées et connectées.
Le Singapourien de 44 ans, Lawrence Chong, consulteur du dicastère pour le Dialogue interreligieux, en est l’archétype et le promoteur. Artisan de la rencontre interreligieuse centrée sur les jeunes vendredi 13 septembre au Junior Catholic College de Singapour, il incite les jeunes catholiques locaux et régionaux à s’engager avec «plus de protagonisme» dans les défis interreligieux et témoigne d’un essaim de groupes dédiés à Singapour sur ce sujet depuis déjà plusieurs décennies, citant le succès de l’Économie de François ici à Singapour. «C’est notre rôle en tant que pays développé et avancé. Dans un monde en guerre et en crises, l’heure est venue d’insuffler cette unité et espérance», plaide-t-il, évoquant l’appel à la paix et l’unité lancé ce vendredi, qui sera inspiré du document sur la Fraternité humaine d’Abou Dhabi.
Le dialogue interreligieux, outil social et politique
Entre océans indien et Pacifique, Singapour semble le décor opportun. 30% de bouddhistes, 15% de musulmans, 7% de catholiques la composent. La rue de l’harmonie interreligieuse, Waterloo Street, en est le reflet: Bouddha y côtoie Shiva, le croissant musulman et la glorieuse Croix du Christ.
Comme souvent, le dialogue interreligieux ici a commencé par le commerce, marchands chinois et indiens ont fait prospérer les affaires. La Compagnie britannique des Indes orientales a apporté le protestantisme, les missionnaires français le catholicisme.
Dix religions sont officielles et libres d’être exercées, mais toutes doivent respecter des règles rigoureuses de sensibilités réciproques. «Par le passé, Singapour fut menacée par sa propre diversité et a ainsi appliqué au domaine religieux un modèle particulier d’ingénierie sociale, fortement influencé politiquement, culturellement et économiquement, par des ethnies chinoises. La cité-État est donc en la matière le signe d’un contrat social très précis qui pourrait faire école pour l’ensemble du monde sinisé», explique le père Benoit Vermander, sinologue jésuite basé à Shanghai.
Deux cités-États aux ambitions mondiales différenciées
D’un micro-État à l’autre, il n’y a qu’un pas. L’anthropologue et théologien catholique Michel Chambon, observateur des catholicismes asiatiques à la NUS de Singapour, note des points de convergence indéniables entre Singapour et le Vatican depuis deux décennies. «Des efforts sont visibles de la part des deux côtés pour trouver une manière de travailler ensemble, de collaborer et éventuellement se soutenir sur un certain nombre de dossiers. De nombreux Singapouriens ont travaillé pour le Saint-Siège ces dernières années et sont toujours engagés dans différents dicastères, interreligieux ou à l’économie», remarque-t-il. L’invitation à François fut en effet lancée il y a huit ans déjà.
Selon Lawrence Chong, le Pape a donc été très stratégique dans les choix des pays de ce voyage apostolique: «La Papouasie-Nouvelle-Guinée comme périphérie, le prisme musulman indonésien, l’écrasante majorité catholique timoraise, l’état séculier et moderne singapourien, où les catholiques sont influents». Tous les ingrédients et les composants névralgiques de l’avenir du catholicisme en Asie sont présents et prêts à infuser ces trois prochains quarts de XXIe siècle.
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