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Skyline de Singapour. Skyline de Singapour.   (AFP or licensors)

Singapour, lieu de pouvoir régional, relais d’influences mondiales

Parti de Rome il y a dix jours, le Pape est parvenu à l’ultime étape de son 45e voyage apostolique inédit dans des îles d’Asie du Sud-Est, mercredi 11 septembre. Un quatrième État insulaire, aux ambitions dantesques, résolument tourné vers l’avenir. Singapour, cité du lion en sanskrit, cœur du corridor névralgique du Sud-Est asiatique, concentre les défis du futur: technologie, démographie, et coexistence ethnoreligieuse dont elle semble un parangon.

Delphine Allaire – Envoyée spéciale à Singapour

À la croisée des mondes indien et chinois, à l’extrémité méridionale de la péninsule malaise, s’élève une micro-cité cosmopolite où les ordres de grandeurs s’enchevêtrent avec virtuosité. Bâtie sur 680 kilomètres carrés, petite par la taille, mais grande par son poids économique, elle est la ville de tous les superlatifs matérialistes: deuxième port de la plantète, troisième place financière après la rivale Hong Kong, coffre-fort régional avec un PIB par habitant l’un des plus élevés du monde. Pourtant à l’origine, cette locomotive prospère de l’Asean est un village de pêcheurs jusqu’en 1819, date à laquelle le marin et botaniste britannique Sir Thomas Raffles l’achète à un prince malais pour ouvrir une route vers la Chine et empêcher les Néerlandais de progresser dans la région. Historiquement sans agriculture propre, le pays autrefois comptoir de la Compagnie des Indes orientales a toujours été sur les voies commerciales et a misé sa survie sur la réussite économique.

 

Le cadre politique parlementaire

Autre héritage britannique, le système politique de la cité. Singapour représente «un îlot de stabilité où, par rapport à d'autres pays voisins parfois sujets à des troubles, faits de coups d'État, insurrections ou manifestations», explique le chercheur basé dans la cité-État, Eric Frécon, associé à l’Irasec, l’Institut de recherche sur l'Asie du sud-est contemporaine. Ce pouvoir fort, «une démocratie illibérale», explique le chercheur, a les moyens d’imposer cette stabilité. Depuis 1959, la vie politique est dominée par un parti, le PAP (Parti d’action populaire), et l’État n’a eu que quatre Premiers ministres depuis l’indépendance, acquise de la Malaisie en 1965. Deux rencontreront le Pape François le 12 septembre: l’actuel Premier ministre Lawrence Wong, de confession protestante, à la Maison du Parlement, et Lee Hsien Loong, chef du gouvernement de 2004 à 2024, à la maison de retraite Saint-François-Xavier où François réside durant cette escale de quasi 48 heures, un record pour un Pape dans la ville où Jean-Paul II n’était resté que sept heures, le 20 novembre 1986. Ce système politique parlementaire, hérité du modèle britannique, laisse peu de place aux compromis sociaux. «Les dernières grèves à Singapour remontent à 2013, les précédentes dans les années 1980. Certains sujets sont tabous», confirme Éric Frécon. Il n’est pas rare dans la cité-État de croiser des travailleurs seniors, âgés de 80 ans. Une situation aggravée depuis les crises mondiales liée à la pandémie et à la guerre en Ukraine. L’économie locale, dépendant des flux internationaux, est soumise à des fluctuations majeures et ses prix se sont envolés depuis trois ans.

Identité et démographie

Dans ce contexte, l’attention portée aux personnes âgées est grande, tout comme aux nouveau-nés, trop peu nombreux. «Lors du discours de politique générale, mi-août, le gouvernement a annoncé l’élargissement du congé paternité, et parental de façon plus générale», indique le chercheur en relations internationales. Les familles singapouriennes, un point d’attention pour le gouvernement dans un pays où le taux de fertilité s’établit à 1.12 enfants par femmes, mais aussi pour le Pape, qui a choisi de visiter des personnes âgées à la Maison Sainte-Thérèse de la ville, fondée par les petites sœurs des pauvres, comme des jeunes de diverses religions étudiant au prestigieux Catholic Junior College qui compte 1500 élèves.

Une mosaïque ethnoreligieuse, quatre langues officielles, célébrées à chaque coin de rue. Cette identité kaléidoscopique, aux accents malais, chinois, indien, occidentaux, se reflète dans les vitres des gratte-ciels qui recouvrent la ville. Un jour est dédié à «l’harmonie raciale», célébrée dans les écoles durant la fête de cette nation aux 74% de Chinois, 14% de Malais, 7% d'Indiens et plus d’1% «d’autres», comprendre Eurasiens. «Le défi pour le gouvernement est de trouver des dénominateurs communs pour faire nation», relève Eric Frécon, citant le service national, les parades ou le singlish, créole de Singapour basé sur l'anglais, comme traits d’union possible. Ce curieux mélange oscille entre influences culturelles chinoise et occidentale aussi sur le plan géopolitique.

Une savante navigation entre les eaux chinoises et occidentales

Entre la Chine et l’Occident, Singapour ne veut pas choisir un camp. Des exercices militaires américains et britanniques y ont lieu, autant que la formation intensive de fonctionnaires chinois. «Singapour essaye de manœuvrer aussi d'ailleurs de petits exercices militaires avec la Chine pour montrer qu’elle maintient le lien.» Une neutralité lui ayant valu le surnom de «Suisse de l’Extrême-Orient». «Les Français appelleraient cela une troisième voie. Les Anglo-saxons appellent cela le hedging, c'est à dire, un terme boursier pour dire ne pas mettre ses œufs dans le même panier et au contraire les mettre dans différents paniers chinois, américains», déduit Eric Frécon.

10 septembre 2024