Baldaquin du Bernin restauré, le 8 octobre 2024. Baldaquin du Bernin restauré, le 8 octobre 2024.   Les dossiers de Radio Vatican

Aux origines de la tombe de saint Pierre, gardienne de la foi apostolique

À un mois et demi de l’ouverture du Jubilé de l’Année 2025, détour archéologique à la tombe du premier évêque de Rome: saint Pierre. La présence de sa tombe, découverte lors des explorations archéologiques du XXe siècle, a déterminé la naissance de la première basilique Saint-Pierre, construite sur la tombe du prince des apôtres au IVe siècle par le Pape Sylvestre et l'empereur Constantin. Entretien avec Philippe Pergola, ancien recteur de l’Institut pontifical d’archéologie chrétienne.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

La sépulture de Pierre fut découverte très récemment. 1900 ans après son martyre. Il y a moins d’un siècle, à la suite de deux campagnes de fouilles archéologiques initié par Pie XII sous l’autel central de la Confession dans la basilique Saint-Pierre. Les recherches d’abord menées dans le plus grand secret, difficiles et délicates, au vu des travaux de dégagement requis, ont abouti à ce radio message de Noël de Pie XII pour le Jubilé 1950: la tombe de Pierre a-t-elle été véritablement retrouvée? Une interrogation à laquelle répond la découverte d’ossements supplémentaires quelques années plus tard… et qui permettent à saint Paul VI de déclarer que les reliques de Pierre ont été identifiées. Cette question archéologique a dès les origines été confiée aux chercheurs de l’Institut pontifical d’archéologie chrétienne. Philippe Pergola est son ancien recteur et doyen. Entretien.

Entretien avec Philippe Pergola, archéologue et historien

Dans quelle intention les fouilles de saint-Pierre ont-elles débuté, le Pape Pie XII a-t-il réalisé le rêve de ses prédécesseurs?

Les fouilles à la recherche de la tombe de Pierre ont été décidées à la fin des années 1930, en accord en particulier avec les professeurs de l'Institut pontifical d'archéologie chrétienne dans le plus grand secret. Si elles avaient échoué, personne n'aurait jamais rien su. Elles se sont déroulées de 1940 à la veille de l’Année sainte 1950.

Les prédécesseurs de Pie XII n’y ont peut-être jamais vraiment pensé, même s'il y a eu de très grands Papes très sensibles à la réalité archéologique des martyrs. Le premier d’entre eux est le Pape Damase au milieu du IVe siècle de 366 à 384, qui a d'une certaine manière séparé le bon grain de l'ivraie des martyrs, avec des reconnaissances presque archéologiques des tombes des vrais martyrs.

 

Les deux autres grands Papes de l'archéologie chrétienne sont le Pape Pie IX qui a fondé la Commission pontificale d'archéologie sacrée, mais qui n'a jamais eu d'activité à Saint-Pierre, puis le Pape Pie XI, qui fut également très proche de l'archéologie chrétienne, fondateur de notre Institut pontifical d'archéologie chrétienne, qui aura un siècle l'année prochaine, en 1925.

Lors de la découverte archéologique, que trouve-t-on des restes du tombeau?

Les sources historiques parlaient de la tombe de Saint Pierre et de saint Paul au Vatican et sur la voie d'Ostie. On avait un témoignage très ancien d'un prêtre, Gaius, qui s'était recueilli sur les trophées des tombes de Pierre et Paul au Vatican et à Saint-Paul-hors-les-Murs, autour de la fin du IIᵉ siècle, une période très proche du martyre de Paul en 67.

Dans la tradition occidentale, dès le règne de l’empereur Constantin (310-337), se met en place la tradition de construire le maître-autel des édifices érigés au-dessus des tombes de martyrs, exactement au-dessus de leur sépulture, quelle qu’en soit la profondeur. Il fut donc évident pour les premiers fouilleurs que c’était au-dessus du maitre-autel du Bernin de la basilique Saint-Pierre au Vatican qu’il fallait rechercher la tombe de l’apôtre. C’est par conséquent une opération hardie et délicate qui fut entreprise pour étayer les fondations de la basilique et effectuer les excavations en toute sécurité.

Les fouilles se sont également étendues au-dessous de la nef de la basilique et ont permis de mettre au jour une voie funéraire secondaire longée de mausolées, donc de constructions en dur comme on peut en voir actuellement sur la Voie Appienne, des tombes d'un niveau assez riche, ornées de peintures et mosaïques, contenant des sarcophages. Cette petite voie se terminait à la base de la colline du Vatican par un espace à ciel ouvert où avaient été pratiquées des sépultures pauvres en pleine terre.

Que nous apprend la campagne de fouilles des circonstances de la mort du prince des apôtres?

La fouille de l'emplacement présumé de la tombe de Pierre a eu des résultats à la fois spectaculaires et mitigés. La tombe de Pierre n'existait plus que très partiellement. C'était donc une tombe très modeste, en pleine terre, mais avec une protection de tuiles en bâtière. Pierre fut ainsi inhumé. Les techniques de fouille alors appliquées ne prirent pas en compte la stratigraphie des couches de terre en rapport avec le mobilier archéologique. Il est donc trop tard maintenant pour avoir des datations très précises quant aux différentes phases liées la sépulture de Pierre. On dispose cependant de données sûres avec les mausolées du IIe siècle qui sont postérieurs à la tombe de Pierre et à celles qui l’entourent. Pierre et ceux qui furent ensevelis autour de sa tombe sont inhumés, alors qu’aux Ier et IIème siècle ap. J.-C., le rite funéraire dominant était l’incinération. L’inhumation était rarissime dans le monde païen et était essentiellement pratiquée par les juifs et les premiers chrétiens, pour lesquels l’incinération était interdite. Au moment de la découverte, les chercheurs n’ont signalé aucune découverte d’ossements mais uniquement une tombe sans reste de squelette.

Comment les ossements attribués à Pierre ont-ils été découverts et ont-ils survécu à 2 000 ans d'histoire?

Durant la campagne archéologique, des fouilleurs de l'Institut pontifical disent n'avoir trouvé aucune trace d'ossements. Mystérieusement, quelques années plus tard, en 1952, un ouvrier, qui avait participé aux fouilles, déclare avoir recueilli durant les fouilles des ossements, à l’emplacement de la tombe de Pierre, remisés dans une caissette en bois. Il s’en ouvre avec la chercheuse Margherita Guarducci, grande épigraphiste (du monde grec) florentine. Il affirme qu’ils étaient dans la niche. Margherita Guarducci et le père jésuite Antonio Ferrua, co-responsable des fouilles de la nécropole vaticane, qui fut l'un des recteurs de l'Institut pontifical d'archéologie chrétienne, grand épigraphiste, latiniste et secrétaire de la Commission pontificale d'archéologie sacrée, en charge de toutes les catacombes romaines, ont ferraillé sur les ossements durant cinquante ans.

Quelle est la position de l'archéologue et de notre institut pontifical? Il est impossible de déterminer si réellement il s'agit des ossements de saint Pierre. C’est également le fruit de 100 ans de vie de l'Institut pontifical d'archéologie chrétienne et de toute l'archéologie chrétienne depuis le milieu du XIXᵉ siècle. Il faut que l’on soit absolument sûr qu'il s'agisse des ossements des martyrs, ce qui est très rare parce que les reliques voyagent beaucoup. Cela ne signifie pas que les martyrs n'ont pas existé et l’emplacement des tombes de plusieurs dizaines d’entre eux de par le monde sont parfaitement connues, à commencer par Rome et par les sépultures de Pierre et Paul. La tombe de Pierre était certainement à cet emplacement. Des graffitis sur le «mur rouge» au-dessus de sa tombe en témoignent également. Les ossements n’ont qu’une importance très relative puisque les fouilles archéologiques ont mis en évidence, effectivement, une tombe vénérée dès le milieu du IIᵉ siècle, moins d'un siècle après. Cela n'enlève rien à la réalité de saint Pierre, du martyre de saint Pierre, de la position de sa tombe et de sa vénération au Vatican.

Quelle est toute la centralité de cette sépulture de Pierre pour l'archéologie chrétienne? Comment la dialectique entre foi et archéologie s’articule-t-elle autour de sa tombe?

Celle de Pierre et de tous les martyrs romains ont été absolument fondamentales pour l'Église catholique, apostolique et romaine. Pierre est le fondateur de l'Église de Rome, considéré comme le premier martyr, le premier évêque de Rome. Sa tombe a justement fait l'objet de toutes les attentions. Au moment des persécutions du milieu du IIIe siècle, sous les empereurs Dèce et Valérien, il y a un culte de Pierre sur la Voie Appienne au niveau de la catacombe de saint Sébastien, où probablement des ossements de Pierre étaient vénérés. S'agissait-il du crâne uniquement? À l'époque, on touchait très peu aux sépultures. C'était vraiment exceptionnel. La sépulture était considérée comme un lieu sacré. C'est d'ailleurs pour cela que l’on construit les basiliques au-dessus des tombes de martyrs, car on ne touche pas à leurs tombes avant le Haut Moyen Âge. Constantin en construisant la basilique Saint-Pierre, doit éliminer une partie de la colline du Vatican, puisque la tombe de Pierre était en bas de la pente. Pour créer l’abside, il l’élimine, et enterre toute la nécropole pour édifier la basilique. Comme l’on s’enterrait près des martyrs, il commençait à y avoir un très grand nombre de tombes chrétiennes autour de la tombe de Pierre.

Pour isoler la tombe de Pierre et construire la basilique, l’empereur recouvre les tombes et les mausolées voisins. Ensuite, la tombe de saint Pierre devenant un des lieux les plus importants des pèlerinages qui commencent surtout au Moyen Âge, la basilique pétrinienne devient incontournable même si le Palais apostolique n’est pas la résidence des Papes avant le retour des Papes d’Avignon, ni la basilique leur lieu de sépulture systématique. Le premier Souverain pontife à être enterré au Vatican est Léon le Grand en 461. Auparavant, ils sont enterrés près des martyrs de leur choix dans certaines catacombes en particulier. Dans la tradition bimillénaire de l'Église, aux sources du christianisme occidental, le pèlerinage auprès de la tombe de Pierre devient le plus important dans l'absolu.

De façon plus contemporaine, y a-t-il encore un intérêt des Souverains pontifes pour cette matière archéologique chrétienne?

L’Institut pontifical, en particulier, essaie de réveiller l'intérêt des diocèses du monde entier pour en revenir aux sources, aux racines, à la vérité. Au moment où Pie XI créait l'Institut pontifical, il l’associait à un message très fort et très puissant qui prône la recherche de la vérité. En archéologie, on a besoin de données très sûres. Cette recherche de la vérité, c'est la position du père Ferrua par rapport aux ossements de saint Pierre. Mais c'est aussi la vérité importante de dire: «Oui, Pierre a été là, Pierre a été enseveli ici». Je dois dire que depuis le Pape Paul VI, ses successeurs ont été jusqu'ici moins présents par rapport à l'archéologie chrétienne.

Il y a bien sûr une très forte attention de la part de l'Église romaine et donc des pontifes. Le Pape Benoît XVI avait une position proche de l'Institut, il nous avait reçus. Jean-Paul II également, à l’occasion de l'anniversaire du Pape Damase. Les intérêts sont momentanés.

À l'époque de Pie IX ou Pie XI, les Papes allaient sur les fouilles. Lorsque Giovanni Battista de Rossi découvre la crypte des Papes dans les catacombes de Saint-Calixte sur la Via Appia, le Pape Pie IX s’y rend immédiatement et de même sur toutes les autres découvertes importantes. Cet aspect est moins fort aujourd’hui, même si l'Institut pontifical d’archéologie chrétienne est très soutenu par l'Église et nos supérieurs hiérarchiques.

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

11 novembre 2024, 11:03