La présidentielle soulève un nouvel espoir d'alternance au Venezuela
«Sans moi, le pays plongera dans le chaos», promettait jeudi soir Nicolas Maduro, dont les partisans ont remonté par milliers l’avenue Bolivar dans le centre de Caracas. Une démonstration de force, alors que le président sortant, au pouvoir depuis la mort de son mentor Hugo Chavez en 2013, compte bien obtenir dimanche les voix nécessaires à un 3e mandat.
Mais cette fois, contrairement à l’élection présidentielle de 2018, l’opposition présente un candidat. Son choix initial s’était porté sur une figure aussi radicale que charismatique: Maria Corina Machado avait remporté 93% des plus de 2 millions de voix s’étant exprimées à la primaire d’octobre 2023. Elle a été déclarée inéligible, et a apporté son soutien à un ancien diplomate, Edmundo Gonzales Urrutia. À quelques jours du scrutin, cette figure modérée écrivait sur X que «lorsqu’un peuple est déterminé à changer, il n’y a d’obstacle qu’il ne puisse surmonter». Tous les deux ont également conclu leur campagne commune hier par un immense rassemblement dans le quartier de Las Mercedes ce jeudi à Caracas.
Les institutions historiques de sondages donnent l’opposition en tête du scrutin avec une vingtaine de points d’avance sur Nicolas Maduro. Comment expliquer le l’enthousiasme suscité par une possible alternance et le désamour vis-à-vis de Nicolas Maduro ?
Thomas Posado est maître de conférences en civilisation latino-américaine à l'Université de Rouen et l'auteur de Venezuela: de la Révolution à l’effondrement. Le syndicalisme comme prisme de la crise politique (1999-2021), édité en 2023 aux Presses universitaires du Midi. Il revient sur le contexte de crise dans lequel ce vote présidentiel va se dérouler.
Au Venezuela, le PIB s’est effondré de 80% entre 2014 et 2021, laissant la population exsangue, poussant même un quart du pays à fuir. Qui est responsable de la crise? Peut-on dire que le coupable est américain, comme le fait le président Maduro?
Le début de l'effondrement de l'économie vénézuélienne précède les sanctions des États-Unis. L’exécutif de Chavez, puis celui de Maduro en sont responsables, avec l’instauration de taux de change préférentiels pour des proches du régime ou pour des grandes entreprises, qui ont commencé à dégrader l'économie vénézuélienne. La dépendance au pétrole est un autre facteur. On a assisté à partir de 2014 à une chute des cours du pétrole, renforcée par un effondrement de la production de pétrole à partir de 2015-2016. Enfin, à partir de 2017 et surtout en 2019, des sanctions draconiennes ont été mises en place par Donald Trump pour obtenir un changement de régime rapide. Il n’aura pas lieu et ces sanctions en revanche vont asphyxier encore davantage l'économie vénézuélienne.
L’économie du pays est cyclique, en raison de sa mono-dépendance au pétrole. Elle a souvent connu des cycles d'abondance et de crise. Mais une crise de cette ampleur, c’est du jamais vu pour un pays qui n'est pas en guerre. Et cela s'explique à la fois par les sanctions américaines, et par la mauvaise gestion de la part des gouvernements depuis 2013.
Que propose Nicolas Maduro aujourd'hui pour améliorer le sort des Vénézuéliens ?
L’effondrement du PIB s’est concentré entre 2014 et 2020-2021. Depuis deux ou trois ans, on voit une relative stabilisation de l'économie vénézuélienne, voire même une légère croissance, qui ne rattrape pas évidemment l'effondrement précédent. Mais il n'y a plus de récession aujourd'hui au Venezuela, ni d'inflation majeure. En réalité, la politique de Nicolas Maduro a déjà évolué. Sa nouvelle politique économique est une politique plutôt libérale qui essaye d'attirer des capitaux malgré les sanctions américaines – qui furent levées entre octobre 2023 et avril 2024, dans cette situation de crise des finances publiques. Il y a eu un début de dollarisation à partir de 2019 qui a permis une relance de la consommation mais qui a aussi eu pour effet de creuser les inégalités. Encore récemment, Nicolas Maduro a supprimé l'impôt sur les grandes transactions financières. Donc des politiques à rebours de l'image qu'on peut avoir de Nicolas Maduro.
Autre signe d'amélioration, la production de pétrole. À partir de 2016, on passait de 2 millions 300 000 barils à seulement 300 000-400 000 barils par jour produits par le Venezuela. On est remonté, selon les derniers chiffres, à 800 000-900 000 barils par jour. Donc l'assouplissement un peu des sanctions y a contribué, ainsi qu’un certain redémarrage de l'économie vénézuélienne qui est timide mais qui réel.
Les politiques économiques proposées par le pouvoir sortant et par l’opposition pour améliorer la vie des gens sont alignées. Toutes sont libérales.
Oui, alors après, est-ce que ça améliorera le sort des Vénézuéliens? C'est une vraie question parce que ces propositions libérales s'imposent dans une situation de crise où l'État a très peu de marge de manœuvre et des caisses vides. Ce sont des solutions qui sont dures pour les Vénézuéliens qui n'ont pas de revenus provenant de l'étranger. Les salaires minimums sont à quelques dollars par mois, quand le panier moyen de la ménagère est à plusieurs centaines de dollars par mois. Donc le quotidien de vénézuéliens reste extrêmement difficile.
Concernant les propositions de l'opposition, oui, elles vont vers plus de libéralisation. La candidate qui a été choisie par les primaires de l'opposition vénézuélienne, Maria Corina Machado, proposait la privatisation du fleuron de l'économie vénézuélienne, l'entreprise pétrolière publique PDVSA en situation de très grande difficulté. Il y a des propositions pour l'éducation qui accorde davantage de place au secteur privé. Elles arrivent dans un moment où les services publics vénézuéliens sont extrêmement affaiblis, et le niveau des salaires est extrêmement bas. Le travail ne rémunère plus au Venezuela.
Pour en revenir à Nicolas Maduro, est-ce son insuccès à améliorer le quotidien des gens qui explique la défiance d’une grande partie semble-t-il de la population?
C'est un ensemble de facteurs qui est toujours complexe, mais oui, Nicolas Maduro paie cette crise économique d'une ampleur majeure malgré ses propositions libérales qui n'améliorent pas la condition de vie des personnes les plus modestes.
Il paie également la dé-démocratisation qui a eu lieu durant sa présidence. On est passé très d'un régime où la majorité avait le pouvoir démocratique, dans les grands traits, à un régime qui est clairement devenu autoritaire avec des épisodes de répression assez fort, en particulier en 2017.
Il paie aussi une crise migratoire: 7, 7 millions de Vénézuéliens sont en dehors des frontières de leur pays. Presque chaque vénézuélien a un proche à l'étranger. L'opposition fait campagne sur le retour de ces émigrés au Venezuela. La promesse est populaire, elle suscite l’espoir d'une population qui souffre de ces séparations. Maintenant, on ne voit pas bien la mise en œuvre d’une telle promesse, parce qu’entre 25 et 30% de la population vit à l'étranger aujourd’hui, parfois depuis des années. Certains y ont créé une nouvelle vie. Ce ne serait pas si facile de revenir au Venezuela.
Cette proposition fait naitre de l’espoir, mais plus largement qu'est-ce qui explique l'enthousiasme suscité -au moins dans les sondages- par l'opposition?
On a eu plusieurs moments dans cette présidence de Nicolas Maduro où la population a cru à une possible altrenance qui pourrait sortir rapidement le pays de la crise ; une espèce de réflexe «tout sauf Maduro»: ça a été le cas en 2015 lorsque l'opposition a gagné les élections législatives ; puis en 2017, quand il y a eu une vague de révolte, et en 2019 avec Juan Guaido. À chaque fois ça a été des échecs, et la résilience de Nicolas Maduro a été souvent sous-estimée.
Aujourd’hui aussi, visiblement, il y a un enthousiasme autour de la candidature d'Edmundo González. Les Vénézuéliens sont fatigués, épuisés par cette décennie de crise économique, de perte d'un certain nombre de libertés démocratiques, par le départ de millions de leurs compatriotes, de leurs frères, de leurs sœurs, de leurs proches. Donc, pour un certain nombre de Vénézuéliens, l'idée que Nicolas Maduro puisse quitter le pouvoir, c'est l'idée de sortir de ce cercle infernal, de ce cercle vicieux. La solution de la sortie de crise sera sans doute beaucoup plus complexe mais chez un certain nombre de Vénézuéliens, surtout ceux qui pensent voter pour être Edmundo Gonzales, il y a cet espoir là que tout redevienne comme avant.
Après, est-ce que cet enthousiasme va se traduire par des faits ? Est-ce qu'Edmundo Gonzales va réussir à gagner ces élections malgré les obstacles institutionnels que peut mettre en place Nicolas Maduro, et dont on sait qu'il est capable de les mettre en place au mépris des règles démocratiques. C'est l'enjeu des élections de ce dimanche.
Et sur la personnalité de cet ancien chef de la diplomatie, plutôt centriste, modéré, honnête, bon père de famille, cela peut-il être la promesse d'un changement attendu par la population?
La présidence d'Edmundo González reste une énigme parce que même dans l'hypothèse où il gagnerait, il ne serait investi qu'au mois de janvier, conformément aux règles de la Constitution vénézuélienne.
Et une hypothétique alternance entre Nicolas Maduro et Edmundo González, vu le niveau de polarisation, vu le niveau de tension, vu le niveau de reproche qui peut être fait dans un camp comme dans l'autre, serait un chemin de crête compliqué entre les garanties de départ du pouvoir - de ne pas avoir de représailles qui serait sans doute demandées pour le camp Maduro, la garantie de remise des pouvoirs convaincants. L'hypothèse d'une transition impliquerait de lourdes négociations entre le 28 juillet et début janvier prochain.
Concernant la personnalité d'Edmondo González, C'est quelqu'un qui était vraiment en rôle de second plan politiquement. Les Vénézuéliens ne le connaissaient pas jusqu'à ce qu'il soit proposé à la présidence par Mariana Corina Machado. C'est justement parce qu’il a un rôle de second plan que, du coup, il arrive à faire consensus entre l'ensemble des courants de l'opposition vénézuélienne et qu'il arrive à être reconnu par Maria Corina Machado. Lui n'avait pas une légitimité personnelle importante dans le pays, qui est devenu le candidat de l'opposition.
Est-ce une personnalité enthousiasmante? Oui, dans le sens où il arrive à susciter de l'enthousiasme des Vénézuélisn, mais souvent accompagné de María Corina Machado, qui est la figure charismatique de l'opposition vénézuélienne aujourd'hui. Elle était extrêmement radicale, refusait les procédures électorales, refusait de collaborer avec le gouvernement de Nicolás Maduro qualifié de «dictature». Elle a appelé à des interventions étrangères contre le Venezuela. Et c'est cette figure de radicalité, de non-compromission qui a créé la popularité de María Corina Machado. Aujourd’hui elle a eu un rôle moteur pour la conversion de l'opposition vénézuélienne dont une partie était toujours réticente à s'engager dans un jeu électoral jugé «pipé». Elle s’est dit que sa popularité et l'impopularité de Nicolas Maduro, ouvraient un chemin vers une transition par la voie démocratique.
L’opposition pourrait donc gagner sans avoir l’assurance d’une victoire. Quelle réaction peut-elle être celle du pouvoir, le jour J et au-delà, alors qu'on sait que Nicolas Maduro est déterminé à ne pas perdre?
Il est toujours difficile de commenter les faits avant qu’ils n’adviennent mais on sait qu'il n'y a pas de négociation, que cette transition n'est pas assurée, que Nicolas Maduro ne semble pas prêt à quitter de pouvoir et toutes les déclarations récentes vont dans ce sens. Est-il capable de mettre en place des procédures non démocratiques pour se maintenir au pouvoir ? Oui, je ne sais pas s'il va le faire ce dimanche, mais il l’a déjà fait dans le passé, donc on peut légitiment le soupçonner de cela. Les moyens furent variés: des électeurs, particulièrement dans les zones d'opposition, pouvaient aller voter à l'autre bout de la ville ; dans certains endroits, il y a eu des urnes avec des résultats un petit peu intervertis. Nous avons parlé de l’absence de liberté de candidature. Le vote des Vénézuéliens de l'étranger est aussi un des facteurs importants à prendre en compte. Quelques dizaines de milliers d’entre eux ont été autorisés à voter, sur 7, 7 millions de Vénézuéliens à l'étranger. Sachant que ce corps électoral lui est largement défavorable, Nicolas Maduro a limité au maximum les possibilités de s’inscrire sur les listes électorales pour les émigrés. Donc voilà l'ensemble des moyens qui peuvent permettre à Nicolas Maduro de gagner malgré tout.
On a vu la lettre ouverte d'Edmundo González à l'armée appelant les militaires à respecter les résultats du vote. Peut-on parler encore aujourd'hui de fidélité de l'armée au chavisme et donc à Maduro?
L'armée n’est pas le corps qui s'exprime le plus et le plus facilement démocratiquement. Ce que l'on sait est que c'est un corps particulièrement surveillé par Nicolas Maduro. Sur les listes de prisonniers politiques que publie régulièrement l'opposition, la majorité d'entre eux sont issus de l'armée. C'est un organe particulièrement surveillé et réprimé pour ses potentiels dissidences.
C'est un corps qui a aussi été particulièrement récompensé de sa loyauté au pouvoir. Des dizaines de militaires sont à la tête d'entreprises publiques où ils peuvent s'enrichir. Certains ont à perdre, mais les militaires ne sont pas un corps monolithique.
À la veille du scrutin, les scenarii sont donc ouverts?
Il pourrait y avoir des violences dans la situation actuelle, mais peut-être qu'il n'y en aurait pas tant que ça. Le chavisme a perdu de la popularité, il a perdu des gens pour se battre. Le scénario est très incertain et ne s'achève sans doute pas ce dimanche.