Israël-Hamas: l’extension continue mais contenue du conflit
Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu - Cité du Vatican
Des appels à la vengeance ont jalonné le parcours du cortège funèbre du chef politique du Hamas tué mercredi 31 juillet à Téhéran dans une frappe ciblée imputée à Israël. Les funérailles d’Ismail Haniyeh ont débuté jeudi matin dans la capitale iranienne avant de se poursuivre au Qatar où il vivait en exil. Le Qatar, l’Iran, la Turquie, la Chine et la Russie notamment, ont vivement condamné cet assassinat, mais tous, y compris les Etats-Unis appellent à éviter un élargissement du conflit.
S’exprimant à la télévision israélienne, le premier ministre Benjamin Netanyahou n’a pas revendiqué la frappe sur Téhéran, ni même celle qui a tué le haut commandant du Hezbollah mardi soir Fouad Chokor, dans la banlieue sud de Beyrouth. Le chef du gouvernement israélien a cependant affirmé avoir porté «des coups sévères» à ses «ennemis».
Depuis le début des opérations, en octobre dernier, au lendemain de l'attaque terroriste du Hamas, Israël maintient une ligne dure, celle de l’élimination de tous les responsables du mouvement islamiste où qu’ils se trouvent, quitte à risquer un conflit plus étendu et hors de contrôle. D’autant que la mort du chef politique du Hamas, Ismail Haniyeh, aura des conséquences sur la suite des événements.
David Rigoulet Roze, chercheur à l’IRIS et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques, offre une analyse de la situation.
Quelles seront les conséquences politiques pour le Hamas après la mort d’Ismail Haniyeh?
Il faut rappeler qu'Ismail Haniyeh était officiellement le numéro un de ce qu'on appelle le bureau politique du mouvement du Hamas et qu’il résidait à Doha, au Qatar, depuis 2017. À ce titre, il était l'interlocuteur obligé, incontournable, dans toutes les négociations concernant le mouvement. Il bénéficiait d'un statut un peu particulier qui lui permettait de voyager entre la Turquie, Doha et d'autres pays, ce qui fait qu’il était en fait l'incarnation «diplomatique» du mouvement. Il avait en apparence une relative souplesse, même si sur le fond, l'ADN idéologique du Hamas était intact. Simplement, il était en mesure effectivement d'être un interlocuteur pour discuter.
Vous le disiez, il était résident au Qatar et il voyageait souvent entre Doha et la Turquie. Pourquoi le choix de Téhéran?
Du point de vue israélien, de toute façon, le principe de l'élimination de tous les chefs militaires et même civils était acté, y compris ceux résidant à l'étranger, partout où ils se trouvent. Pour Téhéran, c'est une double gifle, parce que d'abord, cet assassinat a lieu à l'occasion d'une cérémonie officielle, et puis surtout, c'est une élimination qui a lieu sur son territoire. Du point de vue iranien, c'est quelque chose qui est intolérable et qui annonce nécessairement une réponse.
Pourquoi les Israéliens ne l'ont pas visé au Qatar?
Ils n'ont pas visé au Qatar parce que traditionnellement, il y a, depuis de longues années entre Israël et le Qatar un accord tacite selon lequel il n'y a pas d'élimination de responsables du Hamas sur le territoire qatari. D'autant plus que le Qatar a servi pendant longtemps de financier pour assurer la survie économique -avec 30 millions de dollars par mois, selon des estimations- de l'enclave avec l'accord d'Israël d'ailleurs. Par ailleurs, le Qatar est un pays proche des Américains. Il héberge le «Centcom», le siège du commandement central américain. Donc, ce n'était pas envisageable de procéder à cette élimination au Qatar.
Tout le monde dit craindre une extension du conflit. Or, si on regarde le théâtre des opérations de guerre, il est déjà bien étendu: Israël, Gaza, Liban, Syrie, Iran, pour les pays les plus directement concernés, auxquels il faut ajouter aussi les soutiens extérieurs, qu'ils soient militaires ou politiques. Alors, de quelle extension parlons-nous?
C'est tout le problème depuis le début. Il y a un risque d'extension qui se fait de manière continue mais contenue. Il n'y a pas d'élargissement avéré de nouveau front comme on peut le craindre et comme ça peut se produire, notamment au Liban ou ailleurs. Il y a pour l'instant une focalisation sur Gaza. Mais Gaza n’est qu’une séquence, et c’est le problème. Les principaux acteurs ne souhaitent pas une déflagration régionale globale. Le problème, c'est que dans une logique systémique, les paramètres, effectivement, ne sont pas toujours contrôlés par les acteurs, a fortiori quand il y a un dérapage possible qui n'est pas toujours contrôlé. On l'a vu avec le Golan (12 enfants tués par un tir de missile attribué au Hezbollah, ndlr), C'est un manifestement un mauvais calcul, un dérapage qui a été plus ou moins contrôlé parce qu'il y a un souci de contenir un élargissement majeur. Mais on voit bien qu'au fil des mois et au fil des semaines, des seuils sont franchis, des lignes rouges sont régulièrement transgressées et donc il y a un processus effectivement, en profondeur, d'intensification, de déstabilisation et d'élargissement de facto au niveau régional. Donc la hantise, c'est qu’une erreur de calcul se transforme en un point de bascule qui rendrait la situation incontrôlable.