Sainte-Marie-Majeure et le miracle de la neige, une dévotion mariale pétrinienne
Delphine Allaire – Cité du Vatican
Des flocons de neige recouvrant Rome d'un blanc manteau au milieu de l'été. Selon la Tradition, le miracle s’est produit au IVe siècle de notre ère, sous le règne du Pape Libère. Tout comme à Jean, noble patricien romain, la Vierge Marie apparait en songe au 36e évêque de Rome, la nuit du 4 au 5 août 358, lui intimant de construire une église à l’endroit où l'on trouverait de la neige fraîche. Ce fut chose faite le lendemain, sur la colline romaine de l’Esquilin, emplacement actuel de la basilique Sainte-Marie-Majeure, devenue le plus ancien sanctuaire marial d’Occident. 17 siècles plus tard, le Pape François manifeste fréquemment son attachement à la basilique libérienne, s’y recueillant avant et après chaque voyage apostolique, et souhaitant même en faire son ultime demeure. Ce lundi 5 août, le Pape argentin prendra part aux Secondes vêpres présidées par Mgr Rolandas Makrickas, archiprêtre coadjuteur de la basilique, puis se recueillera devant l’icône mariale de la Salus populi romani pour un bref moment de prière personnelle en la chapelle Pauline.
Le père Étienne Richer, président de la Société française d’études mariales, retrace les origines historiques et spirituelles de cette solennité de Notre-Dame des Neiges liée à Sainte-Marie-Majeure, expression toute spéciale de la dévotion mariale du peuple romain.
Quelles sont les origines historiques et spirituelles de cette solennité de la Madone des neiges?
Les historiens citent un récit légendaire mentionné dans un manuscrit du XIIIe siècle, selon lequel la Vierge Marie aurait demandé à ce patricien romain l'élévation d'un temple dans l'emplacement qu’il trouverait couvert de neige le lendemain. Ce patricien romain serait allé raconter cela au Pape, qui, lui aussi, aurait eu la même apparition et la même révélation. En conséquence, le Pape aurait ordonné une procession générale.
Le clergé et le peuple seraient allés à l'endroit désigné sur le mont Esquilin où l’on trouva couvert d'une épaisse couche de neige l'emplacement que devait occuper l'édifice demandé par la Mère de Dieu.
Sous les yeux de la même multitude rassemblée, poursuit le récit, la neige, s'étendant et se divisant en longues lignes, forma elle-même sur le sol le plan et les proportions de l'édifice. Nous n'avons aucun document archéologique qui atteste de l'édification d'un lieu de culte dès cette époque. Mais le chantier aurait été financé par le voyant. Une version différente raconte qu'un cerf serait mystérieusement apparu sur les lieux et aurait tracé le plan de l'édifice avec ses bois.
Quel rôle a joué ce miracle de la neige dans le rayonnement spirituel de la basilique Sainte-Marie-Majeure?
Un martyrologe dont la tradition manuscrite la plus ancienne remonte au VIe siècle, le Martyrologe hiéronymien, plus ancien martyrologe de langue latine, fait mention, à la date du 5 août, de la commémoration anniversaire de la dédicace de la basilique romaine sur l’Esquilin, au lendemain de la définition du dogme de la maternité divine, la Vierge Marie Theotokos, reconnu au Concile d'Éphèse en 431. C'est le Pape Sixte III, successeur de Pierre de 432 à 441, qui dédie à la Vierge l'église que l'on appellera plus tard Sainte-Marie-Majeure, probablement première église d'Occident placée sous le vocable de la Vierge Marie, et donc la mère de toutes les églises placées sous le patronage de la Mère de Dieu.
Il faut se souvenir, du point de vue historique, que c'est à partir de la fin du IIIe siècle et du début du IVe siècle que les chrétiens commencent à prier la Vierge Marie pour implorer son intercession. Cette basilique a aussi été parée par Sixte III d'une vaste mosaïque illustrant le mystère de Marie Mère de Dieu.
Comment le culte à Notre-Dame des Neiges s'est-il ensuite répandu, urbi et orbi, à travers les âges?
C'est surtout au motif de l'intérêt suscité vers la fin du Moyen Âge que cette fête commémorative, à la date du 5 août, a rencontré un succès extraordinaire aux quatre coins du monde. Elle est restée une fête liée à la basilique romaine jusqu'à ce que, au XIVᵉ siècle, elle se diffuse en Occident sous le nom de Sainte Marie aux Neiges: Notre-Dame des Neiges, en italien Santa Maria della Neve, en rapport au succès rencontré à l'époque de la tradition légendaire qui attribuait le choix du périmètre de la basilique précédemment édifiée, d'après le récit légendaire, par le Pape Libère à une prodigieuse toison de neige survenue hors saison, un 5 août.
Puis l'Ordre des Franciscains a introduit l'Office de Sainte Marie aux Neiges dans son propre bréviaire à partir de 1302. Plus tard, au XVIᵉ siècle, en 1568, elle sera inscrite par le Pape saint Pie V au calendrier romain. La fête liturgique est alors dénommée dédicace de Sainte-Marie des Neiges.
Le vocable de Notre-Dame des Neiges a servi ensuite à la dédicace de nombreuses églises, chapelles, prieurés, abbayes, environ près d'une quarantaine en France, dont bien sûr la célèbre abbaye cistercienne dans l'actuel diocèse de Viviers. Cette abbaye, Notre-Dame des Neiges est connue du fait que le futur saint Charles de Jésus, Charles de Foucauld y a vécu lui-même comme moine trappiste avant de prendre la direction de la Syrie, de la Palestine puis du Sahara algérien.
Comment se manifeste la piété populaire autour de cette solennité mariale?
La légende est encore commémorée le 5 août de chaque année en mémoire de Notre-Dame des Neiges. Elle a lieu dans l'actuelle basilique Sainte-Marie Majeure, puisque lors de la célébration de la messe du matin ou bien des vêpres du soir, on fait descendre du centre du plafond de la basilique une cascade de pétales blancs. La dévotion populaire, ou même la liturgie publique de l'Église, n'est pas désincarnée. Elle passe par des gestes et des modes d'expression qui sont des traductions de la relation filiale à celle que l'on vénère comme la mère de l'Église et la mère de tous les hommes.
Que symbolise le signe de la neige lié à Marie?
La toison de neige renvoie à la sainteté de Marie, à la pureté de Marie, à la virginité perpétuelle de Marie. Cette dimension revêt une actualité particulière en cette année 2024, puisque nous sommes dans le 170ᵉ anniversaire de la définition dogmatique du dogme de l'Immaculée Conception par le bienheureux Pape Pie IX, le 8 décembre 1854. L’année 2024 marque aussi le 50e anniversaire de l’exhortation apostolique Marialis cultus du Pape Paul VI sur le culte de la Vierge Marie (2 février 1974). Il y a comme un bouquet d'anniversaires à offrir à la Vierge Marie.
Comment qualifier la dévotion mariale du diocèse de Rome, fondé par saint Pierre? Quels liens spirituels établir entre Marie et Pierre?
Cette thématique s'est beaucoup enrichie depuis plus d'un demi-siècle, notamment grâce au théologien suisse Hans Urs von Balthasar et au magistère des Papes depuis saint Jean-Paul II. Cela réfère à l'articulation entre le principe marial, ou le profil marial, et le principe pétrinien. Jean-Paul II l’avait magnifiquement formulé lors d’un voyage apostolique au Canada: «La foi de l'Église est la foi de Marie, dont Pierre est le garant». Elle synthétise remarquablement ce qui est à saisir, c'est à dire que Marie est vraiment mère de l'Église. Marie n'appartient pas au Collège apostolique, mais elle est mère et reine des apôtres. Et les apôtres, aujourd'hui les successeurs des apôtres, avec toute l'Église et tous les fidèles sont bien inspirés de s'en souvenir.