Le Bangladesh à la recherche d’un renouveau démocratique
Entretien réalisé par Augustine Asta – Cité du Vatican
Plébiscité par les manifestants qui ont obtenu la démission de la première ministre Sheikh Hasina, Muhammad Yunus a désormais le pied à l’étrier. En attendant l’organisation d'élections libres, il devra donc trouver des solutions pour sortir le Bangladesh de la tourmente et renforcer les espoirs de réforme, mais aussi de changement dans ce pays d'Asie du Sud. Le pays a connu ces dernières semaines des scènes de répression meurtrière à l'encontre des manifestations antigouvernementales.
Pour Olivier Guillard, chercheur associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée (Iega), et directeur de l’information chez Crisis24 à Paris, Muhammad Yunus, est le «porte drapeau» d’un Bangladesh à la recherche d’un renouveau démocratique.
Quel regard portez-vous sur le paysage politique actuel au Bangladesh?
Le paysage politique au Bangladesh a légèrement changé, a priori pour le mieux, puisque nous sommes passés d'une situation de crise politique ultra violente, secouant la totalité du pays, à un départ de la première ministre. C'était la revendication principale des opposants, des étudiants et surtout de l'opposition qui dénonçait une gouvernance de plus en plus autoritaire depuis une quinzaine d'années. L’ancienne première ministre, qui était au pouvoir depuis 2009, a décidé de prendre un hélicoptère et de partir en catimini trouver refuge en Inde. Et l'armée a donc aussitôt essayé de ramener l'ordre au niveau national, et de dialoguer avec les manifestants et l'opposition. Il était question d'écouter certaines de leurs revendications, dont celle de former un gouvernement intérimaire, avec à sa tête l'ancien prix Nobel de la paix Muhammad Yunus.
Il a accepté le principe de sa mission qui consistera à être une sorte de premier ministre ou de conseiller spécial d'une équipe ministérielle restreinte, adoubée par l'armée et dont les objectifs seront premièrement de restaurer l'ordre public et la concorde nationale dans ce pays de 170 millions d'individus. Il sera aussi question pour lui de rassurer les investisseurs étrangers, qui font tourner l'économie de ce pays, notamment par le secteur du textile, et de rassurer les voisins, au premier rang desquels l'Inde, la Chine et également d'autres pays d'Asie du Sud et du Sud-Est.
D'une manière générale, ce qui est certain, c'est que dans ce pays politiquement fébrile depuis sa naissance, au début des années 70, la scène politique présente trois camps précis, donc deux grands partis politiques traditionnels: celui de la première ministre démissionnaire, l'Awami League, et le Bangladesh Nationalist Party avec un agenda politique et social légèrement différent. Et nous avons la troisième composante qui sont les partis politico-religieux. Ce sont les partis islamistes avec un agenda qui est lui, assez tourné davantage vers les questions de foi.
Le Bangladesh est né dans la violence en 1971. Il n'a pas connu la démocratie avant 1975, puisque l'armée est déjà intervenue entre 1961 et 1990 pour que le pays parte sur des bases politiques ou sécuritaires à peu près normal, à défaut d'être totalement apaisé. On a eu, jusqu'à il y a quelques jours donc, une alternance au pouvoir de l'Awami League, et du parti principal d'opposition, le Bangladesh Nationalist Party avec des exactions permanentes et un niveau de corruption supérieur à la moyenne. Ça a achevé de décrédibiliser Sheikh Hasina, quand bien même les dernières élections organisées en début d'année ont confirmé un quatrième mandat consécutif.
La colère populaire a fini par monter et s'est cristallisée sur un ou deux sujets avant de contester jusqu'à la légitimité de la première ministre à son poste. L'armée, qui est une autorité particulière dans ce pays, a fini par comprendre que continuer à soutenir Sheikh Hasina, c'était se mettre en porte à faux avec la majorité de la population bangladaise. Et cela, ce n'était pas soutenable à terme. Quand Sheikh Hasina a entendu de la bouche des généraux que ceux-ci n'allaient plus cautionner sa politique de répression et qu'ils ne descendaient pas dans la rue pour tirer davantage sur leurs propres concitoyens, madame Hasina a compris que sa carrière politique était terminée et qu'il était temps de partir dans la dignité, en catimini, et de ne pas s'accrocher à tout prix au pouvoir.
Que peut faire Muhammad Yunus dans le contexte politique actuel au Bangladesh?
Les attentes vont être importantes sur les épaules de Muhammad Yunus. C'est un économiste de renom. C'est quelqu'un qui a l'habitude de la gestion des affaires économiques mais également sociales dans ce pays. C'est le seul prix Nobel de la paix que ce pays d'Asie du Sud n'a jamais eu. Il est entouré d'une aura importante: on le surnomme le banquier des pauvres.
Quand vous mettez l'ensemble de ces qualités ou de ces caractéristiques, ça en faisait un candidat crédible, qui était par ailleurs aussi un ennemi intime de Sheikh Hasina. Muhammad Yunus, en définitive, ne cherchait pas le pouvoir. On est venu le chercher. Dans son esprit il prêtera serment dans une optique de rester le minimum possible au pouvoir.
La colère des manifestants peut-elle être maintenant apaisée?
En disant oui à tout, sans conditionnalité, l'armée a pratiquement en très peu de temps débloqué une situation de crise massive. Reste à voir évidemment si cette acceptation "express" pour apaiser instantanément une situation chaotique produira des effets. Reste à voir si les forces de résistances à ce renouveau démocratique ne vont pas bloquer cet élan, et si la violence ne redémarre pas d’une manière ou d’une autre ponctuellement, ce qui repousserait les chances d’un retour à la normale.
Comment l'avenir du Bangladesh se dessine-t-il à présent?
L'avenir du Bangladesh à court terme, reste un petit peu en pointillé. Bien entendu, on part sur des bases aujourd'hui qui sont celles d'un certain espoir malgré tout. Si l'apaisement gagne le pays, si la communauté internationale, d'une manière économique, d'une manière diplomatique ou d'une manière sociale, se montre à l'écoute des demandes d'assistance qui pourraient être émises par le Bangladesh, ce sera positif pour ce pays de 170 millions d'habitants.
On n'a pas parlé des mouvements politico-religieux qui sont importants dans ce pays, qui lorgnent un peu plus de prérogatives politiques dans le cadre d'un éventuel nouveau scrutin législatif. Reste à voir comment ces partis vont se positionner. Reste à voir aussi si cette nouvelle organisation démocratique, politique, civile va être capable de fonctionner avec les limites que l'armée va lui poser au jour le jour. Il reste à voir aussi si les velléités ou rivalités géopolitiques qui s'animent autour du Bangladesh, avec l'Inde et la Chine tous deux à la recherche d'une place prépondérante auprès du pouvoir, ne jette pas une ombre sur cet avenir à court terme.