Le Pape en Océanie, péril sur l’or bleu des îles du Pacifique
Delphine Allaire – Cité du Vatican
Dans les îles Tonga pour le 53e sommet des dirigeants du Forum des îles du Pacifique (FIP) jusqu’au 29 août, le secrétaire général de l’ONU a de nouveau interpellé la communauté internationale sur la détresse des petits États insulaires, déjà vulnérables et pourtant menacés en premier par l’élévation du niveau de la mer et le réchauffement de la température de l'eau. Précédant dans le Pacifique la venue du Pape François qui se rend dans un autre État océanien, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, voix de poids au sein du FIP (18 États), du 6 au 9 septembre, Antonio Guterres sera aussi reçu à Singapour le 1er septembre pour une visite officielle dont l’un des thèmes est la protection de l’environnement. Un sujet d’importance pour l’urbanisme et la durabilité de la cité-État du sud-est asiatique qui accueillera le Pape du 11 au 13 septembre prochain.
Des nations insulaires vulnérables
Outre cette convergence calendaire, le Saint-Siège et les Nations unies partagent de longue date une préoccupation climatique pour la vulnérabilité des îles du continent bleu. Les deux institutions plaident en effet au niveau multilatéral pour l’annulation de la dette de ces pays ainsi que pour une participation accrue des pays riches au financement de «fonds climatiques» pour dédommager les États du Pacifique et les aider dans leur adaptation. Dans certains cas, l’aide au développement a ainsi été substituée par une aide à l'adaptation au changement climatique. Des mesures saluées par l’observateur de la vie insulaire du Pacifique qu’est Tamatoa Bambridge, directeur de recherche au CNRS, rattaché au centre d’études insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) à Moorea en Polynésie française: «Toutes ces solutions sont cumulatives. Il n'y en a pas une qui exclut les autres. Au contraire, il faudrait allier plusieurs types de financements». Ces investissements réalisés à moyen et long-terme ont le défaut de ne pas être perçus immédiatement par les populations locales. Or, l’avenir est inquiétant pour ces habitants dispersés sur 35 millions de km2 à travers l’océan. Les ressources naturelles des lagons turquoise du Pacifique sont mises en péril à cause du réchauffement de l’eau, «une tendance longue accrue par l’impact anthropique», et des houles submersives liées aux cyclones. Un phénomène climatique de plus en plus fréquent, conduisant certaines îles à perdre de l’espace, d’autres à en gagner, observe Tamatoa Bambridge. Les îles du Pacifique sont en effet particulièrement exposées: l’altitude moyenne est d’un à deux mètres au-dessus du niveau de la mer, environ 90% de la population vit à moins de cinq kilomètres de la côte et la moitié de toutes les infrastructures se trouvent à moins de 500 mètres de la mer.
Les différentes facettes de l'adaptation climatique
L’adaptation climatique est la pièce maîtresse d'un tel contexte. «Sans elle, les fortes précipitations ou les grandes sécheresses, tout événement extrême va amener l'augmentation des maladies transmissibles ou non transmissibles, la diminution des réserves alimentaires, pour le moins la capacité à les cultiver ou à les extraire de l'océan», prévoit le chercheur polynésien.
Encore insuffisante par manque de fonds, la résilience climatique des insulaires compte sur la sagesse des siècles. «Nous détenons des savoirs traditionnels sur comment lire le temps, le ciel, savoir anticiper les changements du temps», raconte Tamatoa Bambridge, mettant en garde contre les solutions centrées sur le court terme comme les projets de digues. Visant à compenser l’élévation du niveau de la mer, leur construction provoque un dangereux désensablement du littoral. «Nous ne cherchons pas forcément à ce que tout le monde puisse avoir des habitations à trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Mais nous construisons les mairies aux normes cycloniques, aux normes des houles submersives, pour qu'au moins toute la population puisse s’y réfugier en cas d'événements extrêmes», affirme Tamatoa Bambridge.
Les océans relient et ne séparent pas
Lors de sa venue en Papouasie-Nouvelle-Guinée, pays endeuillé par un glissement de terrain meurtrier où 2 000 personnes ont été ensevelies en mai dernier, le Pape devrait s’adresser plus largement à tout le Pacifique sud concernant la protection de la Création. «La Terre a de la fièvre et elle est malade», affirme-t-il dans l’intention de prière du mois de septembre, parue le 30 août à l’orée du voyage et consacrée entièrement aux victimes des catastrophes environnementales.
L’océan, étendue bleue «qui n’a pas de frontières politiques ou culturelles» selon François, trouve toute sa place dans cette sauvegarde. «Un élément commun aux sociétés traditionnelles d’Amazonie, d’Asie du Sud et d’Océanie est en effet qu’il n’y a pas de distinction entre nature et culture. La nature s'exprime à travers la culture et inversement, la culture s'inscrit dans la nature», relève Tamatoa Bambridge, indiquant que les langues austronésiennes n’ont, précisément, «pas de mot» pour nommer la nature. Dans ces mondes mélanésien, polynésien et micronésien du Pacifique sud, l’approche de l'environnement est totalement holistique et généalogique, liant intrinsèquement terre et mer aux sociétés humaines.
«Les Océaniens ont conquis les océans ces 3 000 dernières années, à l'époque avec des instruments de mesure qui leur étaient propres comme la navigation aux étoiles. L’océan est perçu comme un élément fédérateur, qui relie les continents et non qui les séparent», souligne le chercheur basé à Moorea, certain que cette dimension culturelle de l’océan qui rapproche a un rôle à jouer à l'échelle internationale. Comme en Méditerranée, le Pacifique fait ainsi partie de ces lieux prophétiques où se joue l’avenir de l’humanité.