«Les catholiques papous doivent vivre la foi avec un cœur mélanésien»
Entretien réalisé par Delphine Allaire – Envoyée spéciale à Port Moresby
Le Pape s’envole vendredi 6 septembre pour la Papouasie-Nouvelle Guinée, porte de l’Océanie. Ce pays indépendant de l’Australie depuis près de 50 ans est une terre missionnaire depuis 150 ans. 27% de ses habitants sont catholiques, la majorité est protestante, Allemands et Britanniques s’étant partagé l’île tropicale à la fin du XIXe siècle. Mais que peuvent peser quelques décennies de présence catholique face à des millénaires de culture austronésienne? C’est tout le sens de l’inculturation de l’Évangile dans une société traditionnelle emplie de pratiques ancestrales, aussi lumineuses dans l’hospitalité et la communauté, que ténébreuses dans la persistance de magie noire ou des violences claniques. Mgr Gilles Côté, évêque émérite de Daru-Kiunga, a vécu 49 ans en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le missionnaire montfortain canadien résume les défis d'un demi-siècle de vie dans le plus grand et plus peuplé des pays du Pacifique.
Comment la religion catholique est-elle parvenue jusqu’en Papouasie-Nouvelle-Guinée?
Cela fait environ 145 ans que les premiers missionnaires catholiques sont arrivés, d’abord avec les Missionnaires du Sacré-Cœur (MSC) venus de France avec leur fondateur, le père Jules Chevalier. En 1885, la première messe a été célébrée sur l'île Yule, en mer du Corail, dans les tribus des Roros et des Mekeo. Des prêtres du Verbe Divin ont ensuite gagné la côte nord, puis des Franciscains, des Capucins, des Maristes sont allés sur l'île de Bougainville. Plusieurs congrégations sont venues travailler en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
En un demi-siècle de vie en Papouasie, quelle évolution de l’Église locale papoue avez-vous vu se produire?
Lorsque nous avons commencé notre mission de Montfortains en 1959, il n'y avait pas d’églises catholiques dans la très grande province de l'Ouest. Puis, Mgr Gérard Deschamps, préfet apostolique de Daru, a été invité au Concile Vatican II, de 1962 à 1965. Sur ces terres de l’Ouest, nous avons commencé au contact de cannibales et de chasseurs de tête, en se demandant bien quelle Église nous allions pouvoir bâtir. La réponse a été claire: l’Église de Vatican II. À savoir une Église de participation et de communion. C’est cela que l'on a essayé de faire depuis le début.
L’Église catholique de Papouasie-Nouvelle-Guinée est-elle devenue aujourd’hui une Église véritablement locale?
C’est encore une très jeune Église. Cela prend beaucoup de temps, mais elle est de plus en plus locale en effet. Sauf les prêtres. Même dans des endroits évangélisés depuis 140 ans, il y a peu de prêtres locaux, parfois il y en a mais cela varie énormément. Toutefois, l’important n’est pas seulement les prêtres, mais les gens. Eux ont appris à participer à la vie de leur communauté. Nous avons bâti un plan diocésain de pastorale pluriannuel, tout le monde a participé. Pour le dire simplement: en PNG, on pense ensemble, on décide ensemble, on agit ensemble. Cela créé un sens d’appartenance très fort. Il est très important que les fidèles prennent part à la décision. Nous pratiquions la méthode synodale sans jamais en utiliser le mot, avec de grandes assemblées de 85 à 100 personnes. Nous décidions, votions, ensemble pour atteindre un consensus. En tant qu’évêque, mon vote comptait pour une voix. Comme tout le monde.
Comment l'Église de PNG a-t-elle contribué au développement du pays?
Énormément. Elle a édifié le système de santé, d’éducation, s’est illustrée dans la formation des dirigeants du pays et le développement du rôle des femmes. C’est extraordinaire. Il s’agit de transmettre les valeurs chrétiennes et de les mêler aux belles valeurs mélanésiennes. Avec ce bagage, les fidèles locaux prennent des décisions et deviennent des communautés chrétiennes vivantes, autonomes et responsables.
À quoi ressemble les célébrations liturgiques locales? De quelle inculturation sont-elles le reflet?
Nous avons de très belles célébrations liturgiques serties de chants, danses, fleurs, processions et couleurs. La participation des gens est immense. Lors de grandes célébrations, les fidèles d’autres contrées mettent des jours à venir, de jour comme de nuit, à pied, en bateau ou en chaloupe à moteur. Ils revêtent des habits traditionnels, souvent des plumes et des jupes de paille et il y a le tambour. L’instrument a mis du temps à être accepté dans l’Église car il était utilisé auparavant dans les rites traditionnels, mais au bout d’une quinzaine d’années, les Papous ont eux-mêmes décidé de s’en servir à l’église.
L'inculturation, ce n'est pas juste des célébrations. Il faut donner la chance aux Papous de prendre des décisions avec leur mentalité et leur cœur de mélanésiens. Je suis Canadien et il ne faudrait pas qu’ils pensent comme moi. Je suis différent. Il faut laisser de l’espace et de la place pour faire éclore l’Église catholique mélanésienne.
Quelles sont les particularités culturelles et valeurs mélanésiennes?
Les gens appartiennent tous à des tribus. Leur histoire et leur culture, c'est le clan. La valeur principale, c'est la communauté et la force du village. Il fallait bien que le village et la communauté soient forts car, autrefois, les tribus étaient ennemies les unes des autres. Au temps révolu des chasseurs de tête, les territoires de vie étaient très réduits car les gens avaient peur des ennemis. Cela explique l’immense diversité des dialectes de la Papouasie qui en compte 800 différents. Ainsi lorsque les habitants voient qu’être catholique équivaut à appartenir à une petite communauté de base, c’est en ligne et en cohérence avec l’arrière-plan culturel local. Certains Papous me disent: «L’Église nous aide à sauver notre culture». Il est fabuleux de voir que l’Église permette aux gens de réfléchir sur leur culture. C’est ce qui s’est produit lors de la rédaction sur quatre ans de notre plan pastoral diocésain, où les gens ont pris cinq à six mois pour réfléchir sur leur culture.
Quels sont les principaux défis économiques et sociaux locaux rencontrés sur place?
La pauvreté, les petits villages éloignés sans routes. Certains peuvent cultiver, accéder aux marchés, d’autres non comme dans cette province de l’Ouest. Il est alors très difficile d’utiliser la terre d’une façon qui puisse rapporter de l’argent lorsqu’il n’y a pas de moyens d’apporter le produit de la récolte au marché. La pauvreté existe aussi en ville, mais il y a des très riches comme les membres du gouvernement ou les avocats. La violence, lorsqu’elle est présente, est souvent liée à l’alcool de certains jeunes ou à de la vengeance. Lorsque quelqu’un meurt, la question ici n’est pas «de quelle maladie ou pourquoi?», mais «qui est responsable?».
L'autre défi est la sorcellerie, moins répandue qu’autrefois mais des femmes sont encore accusées. Cela créé de la violence dans les communautés. Pour changer cela, un long travail de patience, de prière et de pardon, est nécessaire.
Que pensez-vous de la décision du Premier ministre James Marape d'inscrire le christianisme dans la Constitution?
L’Église catholique locale est contre cela. Il y a déjà une clause qui parle de la liberté de choix de religion. Nous n’avons pas besoin de dire que le pays est chrétien, il peut être chrétien de nom, mais dans bien des pratiques, la corruption, la sorcellerie, la violence, le pays n'est pas chrétien complètement encore. Beaucoup de membres du Parlement sont influencés par certains pasteurs évangéliques.
Que représente le Pape pour les habitants de Papouasie-NG?
Il est une personne très importante dans la vie et dans la vie d'Église des Papous. Ils sont très excités par son arrivée. La dernière venue d’un Pape, en 1995, a été d’un grand effet, car Jean-Paul II a béatifié le martyr et catéchiste Peter To Rot. La dévotion à son égard n’a cessé de croître depuis ce jour. Marcher, travailler ensemble, le Pape va évoquer tout cela et provoquer un élan d’énergie et d’enthousiasme qui va faire grandir la foi, l’espérance et la charité des habitants.