Recherche

XIXe Sommet de la Francophonie au château de Villers-Cotterêts, le 4 octobre 2024.  XIXe Sommet de la Francophonie au château de Villers-Cotterêts, le 4 octobre 2024.   (AFP or Licencors) Les dossiers de Radio Vatican

Amin Maalouf: la francophonie favorise des liens diagonaux dans un monde de blocs

À l'occasion du XIXe Sommet de la Francophonie débuté dans le berceau d'Alexandre Dumas, à Villers-Cotterêts, le 4 octobre, se poursuivant à Paris, le 5 octobre, l'académicien franco-libanais Amin Maalouf, auteur récemment du "Labyrinthe des égarés: L'Occident et ses adversaires”, qualifie la langue française de canal pour transmettre certains idéaux dans un monde morcelé. «Mais seule la culture suffit, car lorsqu'elle circule librement, point besoin de donner leçons ni préceptes», estime-t-il.

Delphine Allaire - Paris, France

C’est dans le décor Renaissance du château de Villers-Cotterêts, à 60 kilomètres au nord de Paris, qu’Emmanuel Macron a accueilli vendredi 4 octobre une cinquantaine de chefs d’États et de gouvernement sur les 88, membres de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Un lieu chargé d’histoire où l’ordonnance dite de Villers-Cotterêts fut signée par François Ier en 1539, déclarant le français langue officielle du royaume à la place du latin. Cinq siècles plus tard, l’imposant château abrite désormais une Cité internationale de la langue française et permet à la France de renouer pour la première fois en 33 ans avec l’organisation de ce grand rendez-vous de la francophonie, dont les précédentes éditions eurent lieu à Djerba (Tunisie), Erevan (Arménie) ou Kinshasa (République démocratique du Congo).

Le président français Emmanuel Macron a assuré vendredi que la Francophonie était un «espace d'influence» et plaidé pour que ses membres portent «ensemble une diplomatie» qui défende partout la «souveraineté et l'intégrité territoriale», «sans doubles standards», de l'Ukraine au Liban. Les pays membres de l'OIF ont lancé "l'Appel de Villers-Cotterêts" invitant les grands acteurs du numérique à «bâtir un espace plus sûr et plus divers et à lutter contre les discours de haine».

 

Langue de l’unification politique nationale à celle du privilège diplomatique dans les cours européennes jusqu’à incarner des ambitions universalistes et humanistes, le français est aujourd’hui le cinquième idiome le plus parlé du monde, le quatrième sur Internet. Son nombre de locuteurs est estimé à 321 millions sur les cinq continents, avec de forts potentiels de croissance liés à la démographie des pays d’Afrique francophone. Mais quel sens y a-t-il à perpétuer une langue commune dans un contexte aussi mondialisé que le nôtre où le recours à l’anglais accélère les échanges et s’impose à tous les usages? Nous avons posé la question à celui qui porte haut la défense et la promotion du français dans le monde, l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, secrétaire perpétuel de l’Académie française depuis un an, immortel depuis 2011 au fauteuil de l'ethnologue Claude Lévi-Strauss. Amin Maalouf remettait le 1er octobre à Paris le 13e prix littéraire de L'Œuvre d'Orient à l'historien français Raymond Kévorkian récompensé pour son enquête historique sur l'Arménie "Parachever un génocide".

Dans un monde morcelé par les crises et conflits, quel est le sens d’une unité de langue commune comme le français dans les pays qui le parlent?

Ce que l’on peut espérer en parlant du monde francophone est que la présence d'une langue commune soit un lien. Nous sommes dans un monde où des blocs se reforment, un monde de tensions, de conflits, liés à l'histoire ou à la géographie. Nous avons besoin de liens diagonaux entre des sociétés, entre des pays, entre des personnes, qui se retrouvent pour une raison particulière. Cette raison peut être la langue. Des pays riches ou pauvres, des pays de tous les continents, auxquels l'histoire a donné en commun une langue, peuvent avoir un canal supplémentaire pour se parler et pour mieux se comprendre. Je pense aussi que la langue française porte en elle une préoccupation culturelle, inséparable de la langue, reliée aux valeurs d'égalité, de liberté, de fraternité. La langue apporte probablement un canal par lequel certains idéaux peuvent se transmettre.

Comment ausculteriez-vous les battements de la langue française aujourd’hui? Elle semble affaiblie dans les institutions internationales, mais en pleine vitalité grâce aux francophones du continent africain. Quelle nouvelle géographie de la langue française se dessine ainsi?

La tradition francophone de certains pays s'est en effet un peu affaiblie. C'est surtout vrai de certains pays d'Europe. On ne peut que le regretter. Cependant, je crois qu'il y a dans le monde, en raison de l'évolution technologique, une inflexion. Pendant une période, cette évolution a favorisé très fortement l'anglais. Mais en se poursuivant, elle a créé, il me semble, les fondements d'une plus grande égalité entre les langues. Avec les moyens dont nous disposons aujourd'hui, nous n'avons plus besoin de passer par une seule langue. Nous allons vers un monde où chacun pourra se faire comprendre et comprendre les autres dans sa propre langue, à travers les avancées de la traduction, de la traduction simultanée et d'autres avancées technologiques. La technologie, qui a défavorisé la langue française et beaucoup d'autres langues, va dans les années et les décennies à venir, recréer un équilibre et favoriser la diversité linguistique dans le monde.

Comment promouvoir le français comme langue d’humanisme, d'universalisme, d’émancipation par la culture, sans verser dans une forme d’imposition ou de prétention?

Il ne faut pas essayer d'imposer, il faut simplement créer des dialogues, laisser passer les œuvres d'art, les œuvres intellectuelles, la littérature. Quand la culture circule, on n'a pas besoin de donner des leçons ou de fixer des préceptes. Il faut favoriser essentiellement le débat, la liberté d'expression, le savoir, l'excellence.

05 octobre 2024