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Des élèves dans une salle de classe installée dans une station de métro de Kharkiv, le 25 octobre 2024. Des élèves dans une salle de classe installée dans une station de métro de Kharkiv, le 25 octobre 2024.  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Unicef: tout faire pour limiter les traumatismes des enfants ukrainiens

En Ukraine, le travail du Fonds des Nations unies pour l’enfance s’articule en trois points: la construction ou réhabilitation des infrastructures, la distribution d’aides destinées aux plus jeunes ou aux familles et la protection de l’enfance. Une attention particulière a été portée à l’éducation et à la santé mentale des petits et des adolescents lors de la visite d’Adeline Hazan, présidente d’Unicef France, dans des localités à proximité de la ligne de front, à l’est du pays en guerre.

Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican

Le conflit s’installe dans le temps, il n’est plus le seul à faire l’actualité et, dans le même temps, le pouvoir d’achat des donateurs s’amenuise. L'Unicef comprend que l’élan de générosité vécu aux premières heures de la guerre en Ukraine s’essouffle mais s’en inquiète. Sur les 550 millions d’euros jugés nécessaires pour 2024, seule la moitié a été colletée. À l’approche de l’hiver, le Fonds des Nations unies pour l'enfance s’apprête à lancer un nouvel appel aux dons.

«Tous nous ont dit que ce serait l’hiver le plus difficile depuis le début de la guerre», rapporte Adeline Hazan, la présidente de l'Unicef France de retour de Dnipro ou Mikolaiev, à 50km de la ligne de front à l’Est de l’Ukraine. Sur place, les températures hivernales peuvent descendre jusqu’à moins 20 degrés et les infrastructures énergétiques ont été, pour beaucoup, détruites par l’armée russe. Des vêtements destinés aux plus jeunes sont distribués, ainsi que du combustible pour aider les familles à se chauffer. L’agence onusienne participe également à la réhabilitation des structures endommagées, qu’ils s’agissent d’infrastructures liées à la production et distribution d’énergie, de centrales d’épuration d’eau ou, bien sûr d’écoles.

Depuis le début de la guerre, plus de 4000 d’entre elles ont été démolies ou abîmées. L’Unicef tente aujourd’hui de les remettre sur pied, nous explique Adeline Hazan, la présidente de l’Unicef France. 

Nous essayons de les reconstruire plutôt en dur quand on peut. On essaye de ne pas faire trop de préfabriqués, mais c’est vraiment du cas par cas, cela dépend des endroits, de ce qui a été détruit. Là, par exemple, nous avons visité une école qui avait été bombardée. Il n'y a plus de fenêtres, mais il n'y aura pas à reconstruire l’établissement. Nous devrons «simplement» nous occuper du pourtours des fenêtres, des fenêtres, de reboucher les trous et de consolider les murs.

Et fabriquer un abri?

Et fabriquer un abri, absolument. L'Unicef en effet aide à les réhabiliter ou à en construire, car lorsqu’ils font défaut, les enfants ne sont pas autorisés à aller à l'école. Donc, soit ils sont regroupés dans d'autres structures scolaires dotées d’abris s'il y en a à proximité, soit ils ne peuvent pas aller à l'école. Et c'est véritablement le drame du pays. Pour ceux qui ne peuvent pas encore revenir à l’école, nous en sommes à peu près à cinq ans de crise d'apprentissage, entre la pandémie de Covid et plus de deux années de guerre. Nous avons une génération qui va être très très très en retard.

Combien d'enfants sont concernés?

Depuis le mois de septembre, à peu près 25% seulement des enfants ont recommencé à aller à l'école. Les autres suivent un enseignement en ligne parce qu'il faut dire que, heureusement, l'Ukraine s'était bien équipée pendant le Covid. Mais l’enseignement en ligne, n’offre pas la même chose qu’un enseignement en présence, ne serait-ce que pour la sociabilisation. Beaucoup d'enfants et d'adolescents nous ont dit que ça faisait quatre ans qu'ils n'avaient plus rencontré leurs copains ou copines qui pourtant habitaient dans le même village ou dans le même quartier quand il s'agissait de grandes villes.

Et j'imagine qu'on essaie de les rassembler pour pouvoir justement d'abord les faire se rencontrer et puis aussi les soutenir

Nous avons vu tout le soutien éducatif organisé dans des centres pour les enfants, pour les adolescents, pour leur redonner, si je puis dire, un semblant de vie, en tout cas une bulle d'éducation, et de soins psychosociaux et de santé mentale aussi, pour que les enfants recommencent leur scolarité bien sûr, mais qu'on puisse aussi soigner leur anxiété, éventuellement leur dépression, leurs troubles anxiodépressifs, parce que tous ces enfants sont évidemment complètement traumatisés.

Avec la guerre, le personnel formé est-il présent en nombre suffisant?

Il y a des professionnels, mais absolument pas un nombre suffisant. D'abord parce que tous les hommes sont sur le front. Donc le personnel mobilisé, ce sont essentiellement des femmes, qui ont déjà une importante charge mentale puisqu’elles élèvent par ailleurs leurs enfants seules.

On a assisté à un atelier de formation de trois jours, avec là-encore la présence uniquement de femmes qui ne sont pas du tout des travailleurs sociaux, pour qu'elles puissent avoir un minimum d'outils pour parler à des enfants comme le ferait un travailleur social.

L'UNICEF estimait en février dernier qu’en deux ans de guerre, les enfants ukrainiens avaient passé l’équivalent de 4 à 7 mois de vie enfermés dans des abris souterrains. Vous parliez de leur anxiété il y a un instant, quelles conséquences a cette vie rythmée par «ces descentes aux abris»?

Ça veut dire des traumatismes psychologiques absolument terrifiants; une vie qui n'est vraiment plus une vie d'enfant; le manque de contact entre eux; l’angoisse aussi des parents qui est évidemment répercutée sur les enfants. À ce propos, l'Unicef est à l’origine de nombreuses initiatives pour aider les parents qui se sentent démunis. Nous les aidons, mais forcément ils transmettent leur angoisse. On nous expliquait là-bas que les traumatismes vécus vont se transmettre pendant plusieurs générations.

Vous qui avez l'expérience de ce genre de terrain, de conflits, est-ce qu'on mesure les traces laissées par la guerre sur les adultes de demain?

Oui, on en a malheureusement l'expérience, on sait que ces traumatismes psychologiques vont forcément laisser des traces, qu’ils vont «percuter» plusieurs générations, disent des psychologues que nous avons rencontrés. Tout le travail de l'Unicef et d'autres associations consiste à faire en sorte que grâce aux activités fournies, à la protection et aux soins apportés, les traumatismes soient le moins envahissants possible, mais de toute façon ils seront là, c'est une évidence.

Nous avons parlé génériquement des enfants, qu’en est-il des mineurs les plus vulnérables, comme ceux qui sont porteurs par exemple de handicap?

Ces enfants-là sont particulièrement traumatisés et touchés. Certains ne peuvent pas aller dans les centres de loisirs qui sont organisés ou même à l'école parce qu'ils sont trop handicapés physiquement. Des équipes mobiles dédiées faites de psychologues, d'éducateurs essayent de les toucher au plus près de leur lieu d'habitation. Et nous avons vu un petit garçon autiste qui, grâce aux séances qui lui étaient prodiguées, s'est mis à parler pour la première fois. Il y a donc quand même des petits miracles qui se jouent de temps en temps, heureusement.

Peut-on déjà parler, après presque trois ans de guerre, de résilience chez les jeunes Ukrainiens?

C'est une petite note positive. Ce qui nous a particulièrement frappé, c'est de voir la force de vie de ces enfants et notamment des adolescents qui bénéficient de programmes de participation à la vie de la cité ou d'orientation professionnelle. Nous avons pu constater à quel point ils se projetaient dans l'avenir et à quel point les programmes auxquels ils avaient envie de participer, visaient à être mieux formés et aguerris comme citoyens pour pouvoir aider leur pays à se relever quand la guerre sera terminée.

12 novembre 2024