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La rose sud et le grand orgue de la cathédrale Notre-Dame de Paris restaurée, visitée par l'archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, et le président français, Emmanuel Macron, le 29 novembre 2024. La rose sud et le grand orgue de la cathédrale Notre-Dame de Paris restaurée, visitée par l'archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, et le président français, Emmanuel Macron, le 29 novembre 2024.   (ANSA) Les dossiers de Radio Vatican

Notre-Dame de Paris, la beauté de la foi contée en pierres

La réouverture de la cathédrale Notre-Dame restaurée après l’incendie du Lundi Saint 15 avril 2019 s’inscrit déjà dans l’histoire séculaire de ce joyau médiéval. Au-delà de la solennité de cérémonies inaugurales que l’Église de Paris souhaite nécessairement humbles et rayonnantes, la restauration matérielle permet d’en revenir à l’essence de Notre-Dame: sa nature, son identité, son mode d’existence. La restauration religieuse est centrale, estime le philosophe des religions, Roger Pouivet.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican

«Une véritable action de grâce et un acte de foi. Ne vous contentez pas de voir les pierres magnifiques. N'oubliez pas que ceci est un don de Dieu et un don pour Dieu». Ainsi Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, évoquait au micro de Radio Vatican, la restauration et la reconstruction partielle de la cathédrale phare de Paris, à quelques semaines de sa réouverture. Au seuil de ce moment, réflexion philosophique sur l’identité de la cathédrale prise dans les entrelacs nécessaires de la culture et du patrimoine. Indispensables à sa renaissance cinq ans après le drame de l’incendie, ceux-ci ont permis la prouesse matérielle, technique et artistique de rouvrir la cathédrale séculaire en cinq ans et viennent sublimer une cathédrale de la foi, vocation originelle et perpétuelle de ce lieu où chaque pierre a une âme.

Conversation avec un philosophe penseur de l'incarnation, Roger Pouivet, professeur émérite à l’université de Lorraine, auteur en mars 2022 de l’ouvrage «Du mode d'existence de Notre-Dame. Philosophie de l’art, religion et restauration», paru aux éditions du Cerf. Il a été l’éditeur français de l’European Journal for Philosophy of Religion.

Est-ce un défi récurrent du processus de restauration patrimoniale que de parvenir à maintenir l'essence spirituelle d’un lieu dans une savante dialectique entre foi et architecture?

Une œuvre d'art comme Notre-Dame se caractérise par ce qu'elle signifie. L'intelligibilité de la foi, c’est-à-dire ce que l’on peut comprendre de la foi chrétienne, est en jeu dans une visite de la cathédrale. Pour que Notre-Dame soit toujours la même, le visiteur doit être confronté à la même signification et à la même spiritualité. Une restauration matériellement bien faite permet cela, mais n’est pas suffisante. Il faut qu’il y ait une certaine idée de ce que l'on verra, un discours approprié et adapté sur ce que l'on voit et ce qu'elle est. Faire fonctionner Notre-Dame comme l'objet qu'elle est, un lieu destiné à nous faire comprendre quelque chose de la foi par sa forme même, les statues, les peintures et les vitraux dont elle recèle. Au-delà d’une restauration matérielle, c’est un véritable enjeu ontologique.

 

Comment atteindre la juste dose de patrimonialisation, nécessaire et souhaitable, pour que celle-ci ne dissolve pas l’existence spirituelle du lieu?

C’est très difficile car il faut tout faire à la fois. Pour une part, la restauration de Notre-Dame est celle d’un haut-lieu du tourisme international parisien, une sorte de patrimoine national auquel la France et les Français s'identifient. Mais tout cela est un peu extérieur à ce qu'est Notre-Dame, ou plutôt, c'est quelque chose qui se surajoute et pourrait faire obstacle à ce que Notre-Dame soit toujours bien ce qu'elle est, soit une cathédrale de la foi. Il faut que restauration puisse être faite d'un monument national, mais sans transformer la cathédrale en facsimilé ou en monument du tourisme international. C’est le risque de la restauration, mais c’est en l’occurrence très largement évité. Ce n'était pas gagné d'avance et on peut espérer qu’une fois les grandes cérémonies retombées, nous aurons de nouveau Notre-Dame qui est autre chose qu'un monument, qu’un élément du patrimoine ou un objet pour le tourisme.

Cette émotion proprement patrimoniale et l'esprit de communion en découlant, auxquels nous assistons depuis cinq ans, ne témoignent-ils tout de même pas du signe d'unité et de rassemblement qu’incarne la cathédrale?

Bien sûr, l'effervescence qu'il y a autour de Notre-Dame et l'émotion réelle et internationale ressentie par ceux qui l'ont vu brûler témoignent de toute façon de quelque chose. Il est tout à fait normal de faire grand cas de la fin de cette restauration et de sa réussite du point de vue de l'histoire de l'art et du travail de restauration. Mais il y a toujours un risque de métamorphoser, à l'occasion de sa restauration, une cathédrale en monument. Il faut donc aussi insister sur la dimension proprement religieuse, l’âme de l’édifice. Notre-Dame est différente du Louvre et du château de Versailles.

Comment y voir la préfiguration d'une restauration spirituelle? Beaucoup dans l’incendie, la restauration, la réouverture, voient un indéniable signe de foi. En quoi serait-ce le cas et comment le perpétuer du point de vue spirituel?

Il faut insister sur ce que signifie Notre-Dame et sur ce qui la fait fonctionner du point de vue esthétique. Elle n’est pas simplement une œuvre architecturale réussie, mais a une signification religieuse que ses visiteurs doivent parvenir à comprendre. Cela doit être aussi, d'une certaine façon, la restauration de la foi et de la vie chrétienne. C'est une architecture qui ne peut nous apporter et qui ne peut continuer à être ce qu'elle est, qu'à une condition proprement religieuse, et même théologique.

Quelle serait la condition théologique de Notre-Dame?

Théologiquement parlant, la cathédrale a une importance considérable. Un historien de l'art allemand du début du XXe siècle, Erwin Panofsky, éminent iconologue, est l’auteur d’un livre intitulé «Architecture gothique et pensée scolastique». Il y parle de Notre-Dame et démontre que les grandes cathédrales gothiques, en particulier Notre-Dame, ont la même fonction que la pensée scolastique, c'est-à-dire la façon dont la théologie, à partir des XIe et XIIe siècles et pendant deux ou trois siècles après, s'est constituée à travers la Somme et par exemple, la Somme théologique de saint Thomas. Il établit une analogie entre les deux. D'une certaine façon, Notre-Dame est une sorte de somme théologique architecturale sous la forme d'un bâtiment. Elle est en pierres au lieu d’être en mots latins. Elle ne s'adresse pas exactement de la même façon à ceux qui la visitent et à ceux qui lisent la Somme théologique, mais elle a la même fonction de rendre intelligible la foi. Ce fonctionnement-là doit revenir avec la restauration. La restauration de Notre-Dame sera un moment important pour la foi. Tout simplement.

“Notre-Dame est une sorte de somme théologique architecturale, sous la forme d'un bâtiment. Elle est en pierres au lieu d’être en mots latins.”

Comment expliquer que la transcendance émane souvent des pierres?

L’élévation spirituelle ne peut pas être détachée de la vie matérielle. Elle prend sens, pour nous, dans les choses matérielles. On pourrait presque faire une analogie pour quelqu'un comme saint Thomas sur ce que nous sommes et la cathédrale: nous sommes des êtres matériels, mais nous avons quelque chose qui est la raison et qui elle, est spirituelle, mais qui n'est pas réductible à la matière. La cathédrale, c'est une chose physique et matérielle, et pour la restaurer, ce qu'on doit faire, c'est tailler de nouveau des pierres, c’est une affaire matérielle, mais il y a quelque chose en plus à faire réapparaître: cette spiritualité proprement humaine. Les êtres humains sont des corps, mais ce sont des corps qui ont une âme et une âme rationnelle, une âme qui est spirituelle. La cathédrale fonctionne exactement comme un être humain, à la fois une chose matérielle qui meurt, et puis comme un être qui n'est pas complètement réductible ou qui n'est pas intégralement réductible à sa matière. D'une certaine façon, on pourrait dire que Notre-Dame a elle aussi une âme immortelle, mais qu'il faut parvenir à la faire réapparaître à travers la restauration matérielle.

Quid de l'évangélisation par le beau? La beauté de la cathédrale peut aussi toucher des cœurs hermétiques à la foi.

On peut espérer que l'appréciation esthétique de Notre-Dame sera ou pourrait être la source d'une élévation vers une beauté spirituelle et pas simplement matérielle. C’est le plus difficile. Éviter que Notre-Dame soit réduite à ce qu'ont pu être d'autres monuments architecturaux comme les pyramides ou le Parthénon, des hauts-lieux du tourisme international dans lesquels l'essentiel a été perdu. Tout ce qui reste, c'est un témoignage de quelque chose que les gens ont cru autrefois et qui a été l'occasion de la construction de monuments esthétiquement et architecturalement impressionnants. Il y a ce risque que Notre-Dame devienne simplement après sa restauration, et elle l'était déjà un peu avant, simplement un de ces hauts lieux du tourisme international. Comment faire pour que ce soit différent? Restaurer sa dimension spirituelle, c'est à dire qu'elle veuille dire encore quelque chose pour ceux qui y pénétreront et autre chose qu'une simple visite pendant les vacances entre le Louvre et le château de Versailles. Notre-Dame est un haut lieu de la foi. Tout cela ne dépend pas des cérémonies inaugurales de ce week-end. Ce n’est pas à ce moment que cela va se jouer, mais plutôt dans la façon dont ensuite cette cathédrale restaurée va continuer à avoir une véritable fonction religieuse ou si elle va de plus en plus, être happée vers un fonctionnement qui serait celui d'un monument ou d'un haut lieu touristique. En cela, le 8 décembre n’est pas aussi décisif que les années à venir. Pour savoir si la restauration est réussie, il faut attendre maintenant 50 ans. Il faut attendre pour savoir ce que devient Notre-Dame après que la restauration matérielle ait été faite.

05 décembre 2024