Fratelli tutti: «un idéal sous forme d’horizon qui nourrit l’action»
Entretien réalisé par Hélène Destombes - Cité du Vatican
L’encyclique «Fratelli tutti» propose, dans un monde marqué par de nombreuses divisions et actuellement ébranlé par la pandémie de coronavirus, une réflexion sur la dimension universelle de la fraternité. Le Saint-Père y aborde des thèmes qui sont au cœur de son pontificat: les migrations, la paix, la bonne gouvernance, la culture de la rencontre, l’attention aux plus vulnérables, en proposant face aux «ombres d’un monde fermé» l’exemple lumineux du bon Samaritain.
Cette encyclique sociale interpelle les leaders politiques, économiques, religieux, les institutions internationales mais aussi chaque individu, invitant à construire des sociétés plus fraternelles. Mgr Bruno-Marie Duffé, secrétaire du dicastère pour le Service du développement humain intégral revient sur ce rêve du Pape François, et observe les dimensions spirituelle et politique contenues dans ce texte.
Il y a vraiment un appel à réhabiliter la politique. Elle ne doit pas être à la remorque de l’économie ni de ce que l’on appelle, depuis «Laudato si'», le "paradigme technocratique". La dimension politique vise à réhabiliter le véritable sens du mot peuple, qui est la communauté de destins et non pas simplement une communauté idéologique, une communauté d’idées, et à permettre que la démocratie, c’est-à-dire l’exercice même de la parole partagée, puisse se vivre dans les meilleures conditions.
Le Saint-Père exhorte à la fois les leaders politiques, économiques, les institutions internationales à changer de paradigme. Mais il s’adresse également à chaque individu, mettant en relief une certaine anesthésie face à des questions importantes. C’est un vibrant appel à la coresponsabilité ?
C’est vraiment un appel très fort à une redéfinition de la responsabilité collective dans laquelle les talents des uns et des autres sont appelés à se déployer. Et il n’y a pas à cet égard de pauvres ! Il n’y a que des personnes porteuses de charismes et c’est la mise en valeur de ces capacités qui construit une communauté humaine. Il s’agit bien là d’une question fondamentale: qu’est-ce qui construit notre communauté humaine ? Est-ce que ce sont simplement des intérêts ou est-ce, beaucoup plus fondamentalement, une construction d’une Maison commune ?
Le Pape François, dans un geste symbolique, a choisi Assise, la ville de Saint François, pour signer son encyclique. Quelle est la particularité de ce texte au niveau spirituel ?
La référence à Saint François est claire. Il convient de noter que «Fratelli tutti» poursuit «Laudato si'» et constitue le nouveau chapitre d’une réflexion fondamentale. Il est intéressant d’observer que les trois textes fondamentaux du Pape François, «Evangelii Gaudium», «Laudato si'» et «Fratelli tutti», la référence constante à la spiritualité de saint François d’Assise apparait comme la lumière qui éclaire le chemin. Et je trouve que le deuxième chapitre de l’encyclique «un Étranger sur le chemin» propose une réflexion très intéressante et très importante sur la figure du bon Samaritain. Nous avons un défi à relever qui est celui d’une charité partagée et d’une spiritualité de la proximité.
Reconnaître l’autre comme un frère, se sentir faire partie d’une même humanité, c’est le souhait du Pape François qui, dans ce texte, utilise à de nombreuses reprises les termes «rêve» ou «idéaux». N’y a-t-il pas un risque qui consisterait à ne rester que dans le domaine de l’utopie ?
Non, ce n’est pas simplement un idéal, c’est d’une dynamique dont il s’agit. Il faut l’entendre comme un idéal sous forme d’horizon, qui donne sens à notre marche, ou comme une lumière qui nous éclaire dans la nuit ou comme une confiance qui nous permet de traverser nos inquiétudes. Le Pape assume le fait que sa réflexion peut apparaitre idéaliste. Mais il y a deux idéalismes. Il y a un idéalisme qui ne s’enracine pas, qui ne s’incarne pas et qui resterait dans l’ordre des idées, mais ce n’est pas le cas ici. Le texte nous renvoie en permanence à des situations de violence, à des situations de mépris des droits humains. Aussi, il ne s’agit pas de quitter notre condition d’humanité. Il s’agit de traverser cette condition d’humanité avec un horizon. L’idéalisme dont il s’agit (dans cette encyclique) n’est pas un idéalisme qui reste seulement au niveau de la réflexion. Il est un idéalisme qui nourrit l’action, l’engagement et la responsabilité.
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