Vatican II: retour aux sources et conversion, l’Église en dialogue avec le monde
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Quelle est la nature du mouvement qu’a enclenché le Concile dans l’Église?
Une relecture de l’être et de la raison d’être de l’Église, une appréciation avec une dimension historique: comment en est-on arrivé là, avec les richesses et les limites des années 1960? Cela invite à une conversion et à la remise en cause de certains éléments de la façon d’être de l'Église, dont on s’aperçoit qu’ils ne correspondent pas complètement à l’idéal évangélique. Cela se traduit par deux termes: ressourcement -retour aux sources et aux fondamentaux- et aggiornamento, c’est-à-dire, réforme et conversion. Vatican II est la généralisation de cette possibilité d’initiative des catholiques; tout en sachant que la perspective de Vatican II est plus une invitation missionnaire qu’une invitation à agir dans l’Église. Cette dernière est plutôt l’étape d’après.
La liturgie est l'un des symboles du Concile. Quel besoin y avait-il à en conduire une réforme?
Que cette vie chrétienne dans sa forme catholique redevienne la chose des catholiques. Leur chose. Il y avait pu y avoir une certaine distanciation du clergé sur la vie catholique, les initiatives, sur la liturgie, dans une langue que l’on ne comprenait plus. Comment faire en sorte que l’ensemble du peuple de Dieu se réapproprie sa liturgie.
La liturgie est un lieu d’accumulation par excellence. Nous ajoutons des éléments, sans supprimer les précédents. Beaucoup de choses s’étaient accumulées, des premiers siècles, du Moyen-Âge, à nos jours. Il fallait simplifier.
Quelle a été l’empreinte du Concile sur l’œcuménisme et par extension l’interreligieux?
Le Concile a changé beaucoup de choses. Vatican II porte un regard nouveau et plus positif sur la réalité non-catholique, sur les autres, même s’il ne cesse pas d’être critique quand il le faut. Lors des siècles précédents, l’Église se situait en réaction à la société de son temps, une société qui se sécularisait et prenait ses distances de façon agressive vis-à-vis de l’Église. Deux lieux importants de ce regard nouveau se détachent: les autres confessions chrétiennes -le dialogue œcuménique et la démarche d’union et de réunion- et les autres religions -le dialogue interreligieux et la démarche de mieux se connaître et de favoriser un vivre ensemble.
Quel lien tisser, 60 ans plus tard, avec le Pape François, chantre de la synodalité et de la décentralisation? Sont-ce les graines de Vatican II qui sont si nettement perçues aujourd’hui?
Benoît XVI était expert à Vatican II, Jean-Paul II, évêque, et Paul VI, Pape durant le Concile. François, lui, appartient à la génération d’après. Paradoxalement, peut-être qu’il se sent plus libre vis-à-vis du Concile. Il y a vraiment une continuité entre Vatican II et le Pape François, qui a sa propre façon d’interpréter et de le mettre en œuvre, notamment à partir de ses racines latino-américaines. La synodalité en est l’esprit commun. Elle relève de cette préoccupation que la vie chrétienne dans l’Église est la chose de tous, ou du moins, de quelques-uns représentant l’ensemble, et non pas uniquement des ministres ordonnés, dont on ne doit aucunement sous-estimer la place. Cela ne veut pas dire que rien ne s’est produit entre Vatican II et aujourd’hui, notamment en France. Nous ne partons pas de zéro, notamment dans l’implication des laïcs. Loin de là.
Quelle est la modernité du Concile aujourd’hui?
Vatican II est un regard bienveillant et critique sur le monde. Le regard que Dieu porte sur le monde, ce qui n’empêche pas une dénonciation de ce qui ne tourne pas rond ici-bas, aux niveaux économique, écologique et politique. Le refus de la réforme liturgique apparaît comme le refus du symbole d’une relation au monde renouvelée, la tentation du repli sur soi et sur les certitudes. L’actualité de Vatican II est la préservation de cette relation vivante au monde, à partir de ce que l’on est, à savoir redire le cœur de la foi chrétienne, et envisager un dialogue, un combat aussi parfois, contre une forme de mal présente au monde.
Le Pape François affirmait en 2016 qu’il faut 100 ans pour assimiler un concile. Le souffle de Vatican II n’est-il donc pas encore épuisé?
Vatican II donne du grain à moudre pour encore un certain temps. Il faut des décennies pour recevoir un concile œcuménique et pour qu’il porte ses fruits. La réception s’étale sur plusieurs générations. La dimension peut-être plus internationale et globale, les aspirations extra-occidentales font partie de la tâche de l’Église d’aujourd’hui, des Papes d’aujourd’hui. Ce sont des inflexions déjà présentes dans Vatican II. Il peut être gênant de parler en termes de patrimoine, mais il y a quelque chose de cet ordre, des fruits que l’on a de cesse de recueillir, et qui n’ont pas fini de mûrir dans l’Église contemporaine… Avec un petit effort de lecture des textes conciliaires.
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