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François, lors de l'audience générale du 27 septembre 2023, place Saint Pierre François, lors de l'audience générale du 27 septembre 2023, place Saint Pierre  (VATICAN MEDIA Divisione Foto) Éditorial

Bénédictions, conversion pastorale et le risque de vouloir tout codifier

Une lecture de la déclaration doctrinale sur le sens des bénédictions à la lumière du «changement d'époque» et de la nécessaire «conversion pastorale» sur lesquels le Pape François insiste depuis le début de son pontificat.

Andrea Tornielli* - Cité du Vatican

Dans trois mois, le Pape François entrera dans la douzième année de son pontificat. Un pontificat marqué dès le début par l'appel à une «conversion pastorale», comme on peut le lire dans Evangelii gaudium, l'exhortation apostolique qui trace la voie du magistère de l'actuel évêque de Rome.

Avec lucidité, François souligne que nous ne vivons pas une ère de changement, mais un changement d'époque. Comme l'a récemment souligné l’ancien ministre démocrate-chrétien italien, Rocco Buttiglione, dans L’Osservatore Romano, en commentant la déclaration sur les bénédictions qui ouvre la possibilité de bénédictions spontanées et non liturgiques aux couples irréguliers, y compris ceux du même sexe, «Il y a cinquante ans, les personnes homosexuelles ne voulaient pas de marier.»

Aujourd'hui, dans un grand nombre de cas, il n’en est plus ainsi. Bien que l'attention des médias se soit concentrée – de manière compréhensible - sur les couples homosexuels, la déclaration promulguée le 18 décembre par le Dicastère pour la doctrine de la foi parle de couples qui ne vivent pas selon les normes morales de l'Église. Sans entrer dans les statistiques, on peut dire qu'il s'agit en majorité de couples composés d'un homme et d'une femme qui vivent ensemble sans être mariés. Il n'est pas nécessaire d'être sociologue pour se rendre compte du changement radical qui s'est produit au cours des dernières décennies: le déclin des mariages religieux et civils, la croissance exponentielle des concubinages (parmi ceux aussi qui ont été élevés dans la foi).

Revitaliser l'annonce de l'évangile

La conversion pastorale dont parle le Pape n'est pas une opération de maquillage, une simple adaptation des horaires, quelques ajustements mineurs des structures. C'est quelque chose de plus profond, qui met en cause la responsabilité de tous, et d'abord des ministres ordonnés. Le sens étymologique du mot  «conversion» est «passer d'un lieu à un autre», «se tourner vers quelqu'un ou quelque chose», «changer de direction».

La conversion pastorale dont parle François est une invitation à un changement radical de perspective et de mentalité, non pas dans le sens d'une certaine conformité à la pensée du monde en édulcorant la proclamation chrétienne, mais exactement le contraire. C'est une invitation à revitaliser l'annonce de l'Évangile, en se concentrant sur l'essentiel, sur le kérygme, tout en sachant que nous avons de plus en plus affaire à des interlocuteurs qui ne le connaissent plus, qu'il faut sortir, prendre des risques, rencontrer sans préjugés, écouter avant de juger, ne pas attendre que les gens viennent nous chercher. L'image de l'Église comme «hôpital de campagne», chère au Successeur de Pierre, en est un exemple efficace. La racine de la conversion pastorale est profondément évangélique: Jésus nous a invités à ne pas juger pour ne pas être jugés, à ne pas nous concentrer sur la paille dans l'œil de ceux qui sont devant nous en oubliant la poutre coincée dans le nôtre. Jésus a bouleversé la logique et les normes religieuses de son temps en s'adressant d'abord aux intouchables et aux pécheurs.

La conversion pastorale n'a qu'un seul but, et c'est celui qui donne sa raison d'être à l'Église: la mission. C'est-à-dire le témoignage de l'amour infini d'un Dieu miséricordieux qui embrasse avant de juger et qui vient à notre rencontre pour nous relever seulement si nous lui permettons de le faire, seulement si nous en avons le désir.

Le discernement, clé de lecture fondamentale 

Il y a un autre mot décisif, lié au changement d'époque, à la conversion pastorale et à l'option missionnaire. Il s'agit du «discernement». Un mot central également dans la déclaration du Dicastère doctrinal sur les bénédictions. Dans Fiducia supplicans, qui réaffirme que la doctrine sur le mariage ne change pas et que l'Église ne considère comme licites que les relations sexuelles entre un homme et une femme unis par les liens du mariage, il est clairement indiqué non seulement que toute ritualisation, toute forme de liturgies ou de quoi que ce soit qui y ressemblerait, pour les bénédictions de couples «irréguliers,» doit être évitée, mais aussi qu'il ne faut pas s'attendre à d'autres «instructions» à ce sujet. Précisément parce que le discernement est confié aux ministres ordonnés.

C'est une croix et une responsabilité qui reposent sur les épaules des prêtres, appelés à prendre en charge les drames des personnes, appelés à écouter leurs histoires, appelés à les accompagner pas à pas vers une pleine compréhension du dessein de Dieu pour leur vie. Il s'agit d'une activité éminemment missionnaire. Imaginer «renvoyer» le fardeau du discernement à un manuel ou un bénédictionnaire prédéterminé reviendrait à tomber dans la casuistique.

Évidemment, avoir un manuel où tout est clair, défini, structuré et analysé en détail serait bien plus facile. Mais il ne peut y avoir de manuel qui puisse contempler la variété des drames, des histoires personnelles, ou des situations.

Le Pape François a déclaré dans ses vœux de Noël à la Curie: «Pour nous tous, le discernement est important, cet art de la vie spirituelle qui nous dépouille de la prétention de déjà tout savoir, du risque de penser qu’il suffit d’appliquer les règles, de la tentation […] de continuer en répétant simplement des schémas, sans considérer que le Mystère de Dieu nous dépasse toujours, et que la vie des personnes ainsi que la réalité qui nous entoure sont et restent toujours supérieures aux idées et aux théories». Parce qu'«il faut du courage pour aimer».

La foi chrétienne, a poursuivi François, «ne veut pas confirmer nos sécurités, nous installer dans des certitudes religieuses faciles, nous offrir des réponses rapides aux problèmes complexes de la vie». Le Dieu de Jésus-Christ «nous met en route, nous fait sortir de nos zones de sécurité, remet en cause nos acquis et, de cette manière, nous libère, nous transforme».

Il est certain que la déclaration sur les bénédictions remet en question, secoue, oblige à sortir des «zones de sécurité». Il s'agit d'aller à la rencontre des personnes là où elles vivent et comme elles vivent, et non pas comme nous voudrions qu'elles vivent, afin de ne pas éteindre la lumière vacillante face à une demande de bénédiction, c'est-à-dire une demande d'aide adressée à Dieu.

*Directeur éditorial des médias du Vatican

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21 décembre 2023, 14:30