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Le cardinal Pietro Parolin en partance pour Dubaï, où s'est ouvert la COP28 jeudi 30 novembre 2023. Le cardinal Pietro Parolin en partance pour Dubaï, où s'est ouvert la COP28 jeudi 30 novembre 2023. 

Cardinal Parolin: le monde s’effrite, le Pape pour un nouvel élan de la COP28

Le Secrétaire d'État du Saint-Siège, qui se rend vendredi 1er décembre à Dubaï pour participer à la COP28, partage avec les médias du Vatican les préoccupations et les espérances du Pape face à la crise climatique, aux guerres et aux divisions qui déchirent la planète. Concernant les crises au Proche-Orient et la guerre entre la Russie et l'Ukraine, il réitère l'engagement constant du Saint-Siège en faveur de la paix.

Massimiliano Menichetti – Cité du Vatican

Le Secrétaire d'État du Saint-Siège, le cardinal Pietro Parolin, ouvrira les travaux de la délégation vaticane à la COP28, la Conférence des Nations-unies sur le changement climatique qui se tient à Dubaï. Le cardinal est attendu aux Émirats arabes unis dans la journée du 1er décembre, le jour même où François aurait du se rendre sur place, avant de devoir renoncer «avec grand regret» pour éviter une aggravation de l'inflammation pulmonaire qui l'affecte depuis plusieurs jours. 

Éminence, le Pape ne pourra pas participer à la Conférence internationale sur le climat à Dubaï comme il l'aurait souhaité. Quelles sont les attentes et les espérances de François pour la COP28?

Le Pape est conscient de la nécessité d'agir pour prendre soin de la Maison commune, de l'urgence d'adopter des positions courageuses et de donner un nouvel élan aux politiques locales et internationales afin que l'humanité ne soit pas menacée par des intérêts partisans, à courte vue, ou prédateurs. La COP28 est appelée à donner une réponse claire de la communauté politique en s'attaquant avec détermination à la crise climatique dans les délais urgents indiqués par la science. Le Saint-Père n'a pas pu se rendre à Dubaï, mais la décision de s'y rendre, la première fois pour un Pape, trouve clairement sa source dans Laudate Deum.

Son exhortation rappelle que huit années se sont écoulées depuis la publication de la lettre encyclique Laudato si', dans laquelle il souhaitait partager avec tous les souffrances de la planète et les «préoccupations sincères» pour le soin de la Maison commune. Le Pape explique qu'«au fil du temps ... nos réactions sont insuffisantes, alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture» (n° 2). Non seulement les études scientifiques mettent en évidence les graves conséquences du changement climatique produit par les comportements anthropogéniques, mais il est désormais quotidien d'assister à des phénomènes naturels extrêmes dans le monde entier qui affectent gravement la qualité de vie d'une grande partie de la population humaine, et en particulier de la composante la plus vulnérable à la crise climatique qui a été la moins responsable de sa provocation.

Le Saint-Père a invoqué à plusieurs reprises le «courage», demandant aux gouvernements de mettre en place des politiques en faveur d'une écologie intégrale, afin de protéger l'homme et la Maison commune. Qu'attend-on de la COP28?

Là encore, Laudate Deum est très claire: «Si nous avons confiance dans la capacité de l’être humain à transcender ses petits intérêts et à penser en grand, nous ne pouvons renoncer à rêver que cette COP28 conduira à une accélération marquée de la transition énergétique, avec des engagements effectifs et susceptibles d’un suivi permanent. Cette Conférence peut être un tournant si elle démontre que tout ce qui a été fait depuis 1992 était sérieux et en valait la peine, sans quoi elle sera une grande déception et mettra en péril tout le bien qui a pu être accompli jusqu’à maintenant.» (n. 54).

En effet, l'espoir est que la COP28 puisse donner des indications claires pour encourager cette accélération. La transition énergétique peut être déclinée de différentes manières, en commençant par la réduction progressive et rapide des combustibles fossiles par une plus grande utilisation des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique, ainsi que par un plus grand engagement en faveur de l'éducation à l'écologie intégrale.

Il est bon de rappeler ce que le Saint-Père et le Saint-Siège ont souvent répété: les moyens économiques et techniques pour lutter contre la crise climatique sont nécessaires, mais ils ne sont pas suffisants; Il est indispensable qu'ils soient accompagnés d'un processus éducatif qui influence les changements dans les styles de vie, les moyens de production et de consommation visant à promouvoir un modèle renouvelé de développement humain intégral et de durabilité basé sur l'attention, la fraternité, la coopération entre les êtres humains et le renforcement de l'alliance entre les êtres humains et l'environnement qui, comme l'a dit Benoît XVI dans Caritas in veritate, «doit être le reflet de l’amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons» (no. 50).

Le Pape a rappelé qu'après la conférence de Paris en 2015, il y a eu en effet un déclin, un désintérêt. Vous avez suivi ces événements de près. Le monde se rend-il compte des dangers?

La crise climatique est complexe, mais il s'agit d'un «problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine» (Laudate Deum, n° 4). Elle est en outre liée au comportement humain d'augmentation des émissions de gaz à effet de serre qui ont des conséquences à long terme. Elles remontent à la période pré-révolution industrielle de la fin du XVIIIe siècle, mais se sont fortement accentuées au fil du temps. Comme l'indique le GIEC, l'organe scientifique de l'ONU qui étudie le changement climatique, plus de 42% des émissions nettes totales depuis 1850 se sont produites après 1990. Il s'agit là de délais qui vont bien au-delà des courts cycles électoraux auxquels les politiciens doivent répondre. Il s'agit certainement d'un premier problème.

En outre, depuis 2015, il y a eu une série de crises, il suffit de penser à la Covid ou aux problèmes humanitaires persistants qui imprègnent notre société. Les conflits en Ukraine et dans la zone israélo-palestinienne ne sont que deux exemples frappants de la manière dont des conflits localisés ont non seulement un impact inacceptable et dévastateur sur les populations civiles locales, mais aussi de profondes répercussions économiques et sociales à l'échelle mondiale. Deuxième problème: ces crises risquent de détourner l'attention de la communauté internationale de la question du climat.

Malheureusement, le changement climatique se poursuit et n'attend pas que la «bonne volonté» humaine soit mise en pratique. Il est nécessaire que la communauté internationale non seulement en prenne acte mais réalise concrètement que pour lutter contre la crise climatique, nous gagnerons ensemble ou nous perdrons ensemble. Lors de la COP26 à Glasgow, le Saint-Père a envoyé un message dans lequel il indique que «les blessures infligées à l'humanité [...] par le phénomène du changement climatique sont comparables à celles qui résultent d'un conflit mondial. Tout comme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il est nécessaire aujourd'hui que l'ensemble de la communauté internationale fasse de la mise en œuvre d'actions collégiales, solidaires et clairvoyantes une priorité». Le véritable ennemi à combattre, ce sont les comportements irresponsables qui ont des répercussions sur toutes les composantes de notre humanité d'aujourd'hui et de demain. La réponse doit être rapide et cohérente.

Il serait bon que la COP28 contribue à mettre en pratique le souhait exprimé par le Pape dans Laudato si': «Alors que l’humanité de l’époque post-industrielle sera peut-être considérée comme l’une des plus irresponsables de l’histoire, il faut espérer que l’humanité du début du XXIème siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités.» (n°165). Il y a de l'espoir, car l'humanité possède les moyens et les capacités d'assumer de telles responsabilités.

La COP28 se déroule aux Émirats arabes unis, alors que le conflit entre Israël et le Hamas se poursuit. Quel est le point de vue du Saint-Siège sur cette situation?

L'attaque terroriste perpétrée le 7 octobre par le Hamas et d'autres organisations palestiniennes contre la population d'Israël a causé une blessure grave et profonde aux Israéliens et à nous tous. La sécurité de cette population a été gravement compromise de manière brutale et incroyablement rapide. Le Saint-Père l'a dit dès le début: «Le terrorisme et l'extrémisme n'aident pas à trouver une solution au conflit entre Israéliens et Palestiniens, mais alimentent la haine, la violence, la vengeance, et ne font que faire souffrir les uns et les autres» (Audience générale, 11 octobre 2023).

Et en effet, le processus de paix israélo-palestinien, qui souffrait déjà de ralentissements et de stagnations, est devenu encore plus complexe. D'autre part, peut-être était-ce le but des terroristes, puisque, comme ils l'ont toujours déclaré, les miliciens du Hamas n'ont pas de paix avec Israël à l'horizon, au contraire -de manière irresponsable- ils voudraient sa disparition. Cela ne correspond pas à la volonté que l'Autorité de l'État de Palestine, en particulier le président Mahmoud Abbas, nous a toujours assurée, c'est-à-dire de vouloir un dialogue avec l'État d'Israël pour une pleine réalisation de la solution à deux États, promue depuis tant d'années par le Saint-Siège avec un statut spécial pour la Ville sainte de Jérusalem.

C'est pourquoi j'espère qu'à l'avenir, il y aura des voies de dialogue sincères, même si je les vois très étroites aujourd'hui. Dans les jardins du Vatican, il y a cet olivier planté en 2014 par le président israélien Shimon Peres et le président palestinien Mahmoud Abbas, ainsi que par le Pape François et le patriarche Bartholomée. Nous continuons à l'arroser avec l'eau de l'espérance, qui coule de la prière et aussi du travail diplomatique.

Toutefois, ces derniers jours, nous avons vu une lueur d'espoir dans les négociations qui ont permis une trêve et la libération de plusieurs otages israéliens et autres. Malheureusement, nous avons appris aujourd'hui que les combats ont repris. Le Saint-Siège espère que toute violence cessera dès que possible.

Je crois qu'il faut vraiment saluer les efforts de dialogue déployés par l'Égypte et le Qatar, ainsi que les États-Unis d'Amérique, et la volonté du gouvernement israélien de trouver une solution pour tous les otages le plus rapidement possible. Je suis vraiment heureux de voir que ces personnes peuvent retrouver leur famille. Je prie également pour les autres familles qui ne peuvent toujours pas embrasser leurs proches, toujours kidnappés à Gaza, et je compatis à leur angoisse. Nous espérons qu'ils seront tous libérés rapidement.

Dans le même temps, la situation humanitaire dans la bande de Gaza préoccupe vivement le Saint-Siège. Des milliers de victimes, nous parlons de plus de 15 000 personnes, blessées ou disparues. Il semble qu'il n'y ait aucun endroit sûr, même les écoles, les hôpitaux et les lieux de culte sont mal utilisés et deviennent des lieux de bataille. Plus d'un million de personnes sont sans abri, obligées de se déplacer vers le sud de cette petite bande de terre palestinienne. Le rôle de l'Égypte, qui fournit et coordonne l'arrivée de l'aide humanitaire, ainsi que celui de la Jordanie, du Qatar et des Émirats arabes unis, qui l'envoient et tentent d'aider la population palestinienne, est tout à fait louable. Nous ne pouvons pas oublier et qu’encourager l'effort humanitaire que les agences de l'ONU déploient à Gaza. Il faut donc maintenant que les combats cessent pour de bon et que d'autres moyens soient trouvés pour que le Hamas et les autres organisations palestiniennes puissent désarmer et ne plus constituer une menace terroriste pour les Israéliens, mais aussi pour les Palestiniens eux-mêmes.

Comme l'a déjà dit le Saint-Père, ce conflit, qui touche la Terre Sainte, touche le cœur et les émotions de chacun. On ressent très fortement la colère de tant de personnes pour ce qui s'est passé le 7 octobre en Israël, mais aussi pour ce qui se passe à Gaza, et maintenant pour les horribles reflets que ce conflit produit dans les sociétés de certains pays. Je pense en particulier au nombre croissant d'actes d'antisémitisme qui se sont produits dans de nombreux pays. Comme le Saint-Père l'a dit à maintes reprises et avec une grande détermination: l'antisémitisme est un déni des origines, une contradiction absolue, car un chrétien ne peut pas être antisémite. Nos racines sont communes. Ce serait une contradiction de foi et de vie. Et pas seulement pour les chrétiens: pour tous, défendre la liberté des autres de professer leur foi est un acte humain, alors que l'outrager est inhumain, comme cela s'est produit dans la période honteuse de la Shoah.

Le Saint-Siège continue également de suivre de près la guerre entre la Russie et l'Ukraine. Comment le travail de la diplomatie vaticane se poursuit-il dans ce contexte?

L'engagement du Saint-Siège reste inchangé et continue de se concentrer sur les questions humanitaires, en particulier le rapatriement des mineurs ukrainiens. Les différents échanges d'informations entre les parties ukrainienne et russe, par l'intermédiaire des nonciatures apostoliques présentes dans les deux pays, ont permis de connaître le sort de dizaines d'enfants. Un résultat encourageant, obtenu également grâce à l'implication explicite du Saint-Siège, comme l'indique le Bureau du Commissaire présidentiel pour les droits de l'enfant de la Fédération de Russie, a été le rapatriement de Bogdan Yermokhin, qui a eu lieu la veille de ses 18 ans. Par ailleurs, le mécanisme mis en place à la suite de la mission du cardinal Zuppi est en train d'être affiné, ce qui promet de meilleurs résultats. Nous espérons que cet effort ouvrira la voie au dialogue sur d'autres questions également.

Éminence, vaut-il encore la peine d'espérer en ces temps complexes, déchirés par les guerres, les violences et les privations?

Face aux tragédies qui continuent d'affliger l'humanité, nous nous sentons tous perdants et sommes tentés de céder au désespoir et au fatalisme. Avec le Pape, je veux aussi répéter: «Ne nous laissons pas voler l'espérance», surtout lorsque le chemin de la vie se heurte à des problèmes et à des obstacles qui semblent insurmontables. Bien sûr, l'espérance exige du réalisme. Il exige que nous appelions les problèmes par leur nom, en sachant que les nombreuses crises morales, sociales, environnementales, politiques et économiques que nous traversons sont interconnectées, et que ce que nous considérons comme des problèmes individuels est en fait une cause ou une conséquence d’autres problèmes.

Mais l'espérance exige ensuite le courage d'agir, l'audace de jeter son cœur par-dessus l'obstacle, de renoncer au mal et de sortir de l'espace étroit des intérêts personnels ou nationaux; de faire chaque jour ces petits pas possibles vers le bien pour essayer d'améliorer des situations compliquées et de semer la paix avec patience et confiance.



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01 décembre 2023, 14:30