Observateur à l’ONU, Mgr Caccia déplore l’érosion de la confiance entre les États
Deborah Castellano Lubov – Cité du Vatican
Depuis New York et son poste d’observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies, qu’il occupe depuis cinq ans, Mgr Gabriele Caccia dispose d’une vision précise des menaces qui pèsent sur la communauté internationale. Déplorant un manque de volonté de faire la paix, notamment dans les endroits du globe en proie aux conflits, il critique le risque de faire confiance aux «solutions militaires», qui ne peuvent pas offrir un avenir aux populations.
De plus, le diplomate du Saint-Siège met en lumière la réalité inquiétante des dépenses sans précédent en matière d'armement, notant que de tels investissements seraient mieux utilisés pour le développement socio-économique et les programmes de prévention des conflits. Il estime qu’il est urgent de s’engager dans la coopération entre pays et alerte sur les risques du «développement incontrôlé» de l’intelligence artificielle.
Dans le contexte dramatique actuel, le Pape continue de lancer des appels à la paix. D'après votre expérience, comment est-il possible de trouver les chemins de la paix, notamment dans les conflits en Ukraine et au Proche-Orient?
Personne n'a de solution «magique» à ces conflits, qui découlent d'une multitude de causes et de perspectives différentes des protagonistes qui en portent la responsabilité. Cependant, il est de plus en plus important de répéter avec courage et conviction que seule la paix est la solution et que les voies de la violence et du conflit engendrent la mort, perpétuent les injustices et nourrissent la haine. On se rend compte que -pour rester dans les deux cas de conflits mentionnés- la soi-disant «solution militaire» non seulement ne fonctionne pas, mais est incapable d'envisager un avenir différent.
Cette prise de conscience, qui se traduit malheureusement par des milliers de vies perdues, des familles détruites, des maisons, des emplois et des infrastructures ruinés, fait paradoxalement naître la conscience qu'un autre chemin doit être emprunté. Aussi nombreuses que soient les causes qui conduisent à la guerre, tout aussi nombreuses sont les raisons et les personnes qui peuvent emprunter le chemin de la paix. Le Pape a souligné que pour trouver les chemins de la paix, il faut un engagement sincère de toutes les parties concernées, un dialogue ouvert et constructif et, surtout, la volonté de mettre de côté les divisions et de travailler ensemble pour le bien commun, en promouvant la réconciliation et la solidarité.
Selon vous, existe-t-il des outils qui pourraient faciliter la désescalade et qui n'ont pas encore été utilisés au sein de la diplomatie internationale?
Tout le sixième chapitre de la Charte des Nations unies traite du règlement pacifique des différends «par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux», auquel on peut ajouter toute une série d'initiatives humanitaires qui peuvent faciliter l'obtention de telles solutions. Il y a donc une large place pour des initiatives diverses, mais la volonté ferme et partagée de les utiliser dans le respect du droit international reste fondamentale, faute de quoi il est difficile de les mettre en œuvre dans la pratique.
La guerre est revenue au premier plan ces dernières années. Il y a aussi des guerres oubliées par les médias, comme en Birmanie, au Soudan, en Syrie, au Yémen, en République démocratique du Congo... Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus dans ce climat mondial très instable, où de nombreux pays, selon le récent rapport du SIPRI, dépensent de plus en plus d'argent pour l'armement?
Ce qui me préoccupe le plus, c'est le risque croissant d'«escalade» des conflits et la perpétuation de la souffrance humaine. Cette course aux armements entraîne également d'énormes investissements qui seraient mieux utilisés dans des programmes de développement socio-économique et de prévention des conflits. Plus fondamentalement, tout cela révèle une dangereuse illusion selon laquelle la sécurité est produite par la force et la possession d'armes, alors qu'elle est le résultat de relations fondées sur la confiance et la responsabilité mutuelles. En ce sens, l'appel du Pape François à la «fraternité» ou à l'«amitié sociale» nécessite certainement une «conversion» nécessaire pour atteindre l'objectif de la paix.
À plusieurs reprises, vous avez mis en garde contre le grand danger que représentent les armes nucléaires détenues par différents pays. Quels sont, selon vous, les risques auxquels l'humanité est confrontée à ce stade de l'histoire?
L'Église catholique, fidèle à sa doctrine de la dignité humaine et de la promotion de la paix, exprime sa profonde inquiétude face aux dangers des armes nucléaires. Ces armes représentent une menace existentielle pour l'humanité dans son ensemble, car elles peuvent causer des destructions massives, compromettre l'environnement et infliger des souffrances indicibles aux générations actuelles et futures. En ce sens, il existe une condamnation claire non seulement de l'utilisation mais aussi de la possession de ces armes, qui sont moralement inacceptables, car elles contredisent le principe de proportionnalité dans la défense, risquant d'infliger des dommages indiscriminés et irréversibles.
Cependant, je voudrais ajouter que, selon le secrétaire général des Nations unies, outre le risque nucléaire, deux autres réalités représentent aujourd'hui un danger global pour l'humanité, à savoir le changement climatique et le développement incontrôlé de ce que l'on appelle l'intelligence artificielle. Sur ces trois fronts dramatiques, la voix de l'Église se fait entendre de manière claire et convaincante: en ce qui concerne les questions nucléaires, le Saint-Siège, en plus d'approuver le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, a également promu le traité plus récent pour leur interdiction complète, entré en vigueur pour les pays signataires en janvier 2021. Dans le domaine du changement climatique, il suffit de rappeler l'encyclique Laudato si' du Pape François et l'exhortation apostolique plus récente Laudate Deum en vue de la conférence des parties qui s'est tenue à Dubaï en décembre dernier. Enfin, sur la question de l'intelligence artificielle, le Saint-Père a envoyé un message pour la Journée de la paix le 1er janvier de cette année, spécifiquement sur ce sujet, et il se prépare maintenant à participer à la réunion du G7 le mois prochain dans les Pouilles, qui abordera en particulier sa dimension éthique.
Le Pape a déclaré que la situation de plus en plus hostile et conflictuelle que connaissent de nombreuses régions du monde est également due à l'affaiblissement des structures de diplomatie multilatérale qui ont vu le jour après la Seconde guerre mondiale. À votre avis, où cet affaiblissement est-il le plus évident?
On assiste à une érosion profonde et généralisée de la confiance entre les parties dans le contexte de la diplomatie multilatérale. La confiance mutuelle entre les États favoriserait au contraire la coopération, le dialogue ouvert et la résolution pacifique des conflits. Sans confiance, les relations internationales peuvent être caractérisées par la suspicion, la rivalité et l'hostilité, ce qui rend plus difficile la conclusion d'accords et de compromis qui favorisent le bien commun et une paix durable. À titre d'exemple, on peut noter l'utilisation croissante du droit de veto, et en particulier des vetos croisés, au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. En un peu plus de cinq mois, il a été utilisé six fois: dans l'ère de l'après-guerre froide, seule l'année 2017 en a connu davantage, sept, mais tout au long de l'année.
Vous avez déjà servi en tant qu'observateur permanent du Saint-Siège à l'ONU pendant cinq ans. Que faut-il pour que cette organisation internationale joue un rôle plus efficace en faveur de la paix?
Tout d'abord, malgré les difficultés qui sont à juste titre signalées de divers côtés, il me semble qu'il faut réaffirmer avec conviction que l'existence même de cette organisation est une grande réussite et une grande opportunité. C'est le seul outil dont dispose l'ensemble de la communauté internationale pour se rencontrer, se confronter et dialoguer de manière permanente et stable. Comme dans toutes les institutions, des ajustements continus sont nécessaires pour rester en phase avec le temps et, dans ce sens, il existe plusieurs processus qui visent à promouvoir une réforme du système. Mais surtout, il me semble que les principes de la Charte des Nations unies conservent toute leur validité; les instruments et les mécanismes ne manquent pas non plus. Peut-être faut-il retrouver l'esprit qui, il y a presque 80 ans, a inspiré la création de cette organisation pour trouver les voies qui, aujourd'hui, peuvent conduire à la paix. Il me semble que c'est l'enjeu du prochain «Sommet du Futur» qui se tiendra à New York en septembre prochain.
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