La Cour royale de justice à Londres La Cour royale de justice à Londres 

Procès Sloane Avenue à Londres, Mgr Peña Parra témoigne

La deuxième audition du substitut de la Secrétairerie d'État devant la Haute Cour de justice au Royaume-Uni, concernant l'achat et la vente de la propriété de l'immeuble londonien sur Sloane Avenue, s'est également concentrée sur les relations avec le courtier Gianluigi Torzi. Mgr Edgar Peña Parra a répété qu'il «n'aurait jamais ratifié les accords avec le financier Raffaele Mincione et Gianluigi Torzi s'il avait eu les bonnes informations».

Salvatore Cernuzio - Londres

L’affaire de la propriété de l'immeuble sur la Sloane Avenue à Londres revient au centre d’un procès, mais cette fois à la Haute Cour de justice au Royaume-Uni, après celui tenu au Tribunal du Vatican pour l’achat et la vente de l’édifice. Condamné en première instance par le Tribunal du Vatican pour blanchiment d'argent, détournement de fonds et corruption, le financier Raffaele Mincione déterminé à se défendre, a déposé en 2020 une plainte civile en Angleterre.

Dans ce procès débuté le 24 juin à Londres, le substitut de la Secrétairerie d'État, Mgr Edgar Peña Parra, comparaît en tant que témoin. Les relations avec le courtier Gianluigi Torzi et d'autres personnalités qualifiées de «loups déguisés en agneaux» qui gravitaient autour du Vatican, ont été au centre du deuxième interrogatoire le 5 juillet; une audition -qui a duré la matinée et l'après-midi- à la Haute Cour de justice de Londres. Comme lors de la première audience tenue la veille, l'interrogatoire a été mené par Charles Samek, l'avocat du financier Raffaele Mincione.

Ce 5 juillet, il n'a pratiquement pas été question des transactions faites avec Raffaele Mincione, gestionnaire du fonds qui détenait l'immeuble de Sloane Avenue, mais surtout des transactions avec le courtier Gianluigi Torzi (condamné en première instance par le Tribunal du Vatican), à qui le Fonds Gutt avait confié la gestion de l'immeuble avec un accord qui garantissait au courtier 1000 actions, avec droit de vote. Le contrôle de la propriété était donc total. Mgr Peña Parra l’avait déjà qualifié de «piège», à cause duquel, le Saint-Siège, après une série de pressions et même de «menaces» du courtier, (comme celle de vendre le palais à des tiers ou d'utiliser les revenus pour financer ses sociétés), s'est vu contraint de payer 15 millions d'euros pour mettre fin à toutes les relations. Un paiement en deux tranches de 10 et 5 millions certifié par des factures, voulues par Gianluigi Torzi.

Un paiement sous la contrainte

Sur une période plus longue, Mgr Peña Parra a pu mieux cerner les contours de ces transactions au cours des mois de négociations avec le courtier entre fin 2018 et début 2019. «Les 15 millions n'auraient jamais, jamais dû être payés», a souligné le substitut de la Secrétairerie d'État. «Nous avions déjà fait une autre transaction de 40 millions pour être libres et, ensuite, en décembre, je me suis retrouvé dans la même position avec Torzi, les 1000 actions, la WRM (société dirigée par Raffaele Mincione, en théorie évincée de l'affaire avec un accord signé en 2018 ndlr) dans l'administration du palais, et nous continuions à payer 6 millions par an. Nous avons été contraints de payer et tout le monde au Vatican le savait et m'a soutenu dans cette démarche».

La Haute Cour de justice à Londres
La Haute Cour de justice à Londres

Négociations avec le courtier Gianluigi Torzi

Au cours de l'audience, qui s'est déroulée de 10h30 à 16h30 avec une pause, la question s'est posée de savoir pourquoi dans les négociations avec le courtier Gianluigi Torzi, partant de l'hypothèse initiale de le liquider avec 1 ou 2 millions d'euros («même cela, c'était trop»), l’on est passé à 9 millions d'euros et, enfin, à 15 millions effectivement payés. Selon la déclaration de Mgr Peña Parra, le chiffre de 9 millions est le résultat d'une réunion à l'hôtel Bvlgari avec le courtier Fabrizio Tirabassi et Enrico Craso (respectivement employé et consultant de le Secrétairie d'État, condamnés pour diverses raisons en première instance). L'archevêque dit avoir appris cette rencontre quelques jours plus tard. Il est notoire, comme l'a révélé l'audience au Vatican, que Gianluigi Torzi est allé jusqu'à demander 25 millions d'euros en paiement de son travail de gestion et de sa perte de revenus futurs. Et que le secrétaire du substitut de l'époque, Mgr Mauro Carlino (le seul acquitté parmi les dix accusés dans le procès du Vatican) a été envoyé pour servir de médiateur dans cette affaire avec le courtier.

Information des supérieurs

En ce qui concerne les contrats de novembre 2018 avec Raffaele Mincione et Gianluigi Torzi, Mgr Peña Parra a été interrogé à plusieurs reprises pour savoir s'il avait informé ses supérieurs, à savoir le Pape et le cardinal secrétaire d'État, Pietro Parolin, de ses démarches, comme pour tester sa loyauté et sa fiabilité. L'archevêque a confirmé qu'il avait toujours informé le Pape François et le cardinal Parolin avant chaque action. En guise d’exemple, dans une initiative en dehors de tout «protocole», il avait décidé de contacter l'auditeur général, Alessandro Cassinis Righini, le 24 novembre 2018, pour obtenir un avis sur les contrats conclus pour la propriété de Londres et en particulier sur l'accord-cadre qui a scellé le passage du Fonds Gof (de R. Mincione) à Gutt (de G. Torzi).


L'avis de l'auditeur général

«Je voudrais souligner, a dit Mgr Peña Parra depuis le banc des témoins dans la salle d'audience, que c'était la première fois qu’un substitut consultait l'auditeur général. Ce n'était pas une tradition à la Secrétairerie d'État, qui a sa propre autonomie. Je voulais néanmoins être vraiment sûr de ce que nous allions faire. J'étais dans le bureau depuis un mois, je cherchais encore où était ma chaise... J'ai fait un acte extraordinaire qui n'était certainement pas une joie pour le bureau administratif». L'auditeur général Alessandro Cassinis Righini, a répondu au substitut le 26 novembre 2018 par une lettre. Le Pape et le cardinal Parolin ont été informés de cette décision de consulter des «personnes compétentes», mais la réponse d’Alessandro Cassinis Righini ne leur a pas été envoyée: «Non, a expliqué Mgr Peña Parra, parce que c'était quelque chose qui m'était adressé, pas à eux. J'étais le seul concerné, je suis le substitut. Et j'étais seul dans cette opération...»

Les documents 

L'avocat du financier Raffaele Mincione, a indiqué qu'il y a pourtant eu une deuxième réponse de l'auditeur, qui déconseillait fortement les transactions. Mais pourquoi le substitut n'en a-t-il pas tenu compte? a-t-il demandé. Dans sa réponse, Mgr Peña Parra a clairement souligné n'avoir «jamais reçu ce document. Je l'ai vu lorsque le procès se déroulait au Vatican». Envoyé à la Secrétairerie d'État, il est arrivé dans certains bureaux, mais pas chez le substitut. «Si j'avais reçu un document recommandant que l'opération n'est pas bonne, ce serait pour moi le plus beau cadeau que j'aurais pu recevoir dans ma vie, car j'aurais eu une autorité me disant de ne pas continuer», a déclaré le témoin. «Je regrette de ne pas avoir vu ce document, sinon je ne serais pas ici», a-t-il ajouté.

Le rôle de l'avocat Nicola Squillace

Dans un tourbillon incessant de documents et de noms -tous ceux qui sont déjà apparus dans les 86 audiences du procès du Vatican-, le rôle de l'avocat Nicola Squillace a été rappelé au cours de l’audience. Présenté comme un avocat de la Secrétairerie d'État, avec des personnes qui y travaillent depuis 10 ou 30 ans, Mgr Peña Parra lui avait également demandé son avis sur ces «1000 actions avec droit de vote». Qu'est-ce que cela signifie? Il a fallu attendre encore un mois pour que la Secrétairerie d'État apprenne du consultant Luciano Capaldo que les contrats conclus avec R. Mincione et G. Torzi, portant la signature de Mgr Alberto Perlasca («sans autorisation»), avaient acquis des «boîtes vides». C'est pourquoi, quelques jours plus tard, le Pape convoqua le substitut pour une réunion à Sainte Marthe, à laquelle participèrent également l'avocat Manuele Intendente et Giuseppe Milanese, afin d'y voir plus clair. C'est là que Mgr Peña Parra s'est rendu compte que la situation était hors de contrôle.

À l'époque, a rappelé Mgr Peña Parra, l’avocat Nicola Squillace, «nous avait réaffirmé que les 1000 actions n'avaient pour but que de donner à Gutt la possibilité d'entrer dans l'administration de l'immeuble». Après ces assurances, le substitut a ratifié la signature de Mgr Alberto Perlasca: «Dès mon arrivée, j'ai fait de mon mieux pour me faire une idée claire de ce qui se passait à la Secrétairerie d'État. Rien de plus que nécessaire...».

Le financement de l'IOR

À cette audience, la question du prêt des 150 millions demandé par Mgr Peña Parra lui-même à l'IOR (l'Institut pour les œuvres de religion), pour renégocier l'onéreux prêt de Cheyne Capital contracté par Raffaele Mincione pour l'immeuble londonien, a ensuite été abordée. Une démarche «interne» pour éviter que le Saint-Siège ne continue à perdre près d'un million par mois. L'IOR s'était d'abord porté garant du prêt avant de se retirer au bout de quelques mois. Ce qui a surpris le substitut: «Pourquoi tarder?». Le directeur (Gian Franco Mammì) avait assuré que tout était prêt. Mais au lieu du prêt, c’est une plainte de l'IOR qui est arrivée, déclancant l'enquête sur cette affaire complexe qui a rebondi de Rome à Londres.

Enfin, à la question de savoir si Mgr Peña Parra s'était adressé à des personnes proches des services secrets italiens pour mettre le directeur de l'IOR sous surveillance, y compris sur écoute téléphonique, le témoin a précisé que le téléphone n'avait rien à voir: «J'ai demandé au responsable de la gendarmerie d'avoir un plan clair de toutes les sociétés et entreprises engagées avec nous pendant cette période. Je voulais éviter d'avoir à traiter avec des personnes similaires à l'avenir», a-t-il affirmé.

La dernière partie de l'interrogatoire avec le substitut aura lieu dans la matinée du 8 juillet prochain.

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06 juillet 2024, 11:06