Synode, méditation de Mère Angelini aux Laudes du 30 septembre
Mère Maria Ignazia Angelini
“ COMMENT ETRE ÉGLISE SYNODALE EN MISSION ? ”
Soif de Dieu, source cachée des dialogues synodaux
Un profond merci à Dieu pour ce début : l’Évangile – au cœur des laudes – nous repositionne toutes et tous. Comme nous le disait il y a quelques semaines le Pape François à l’angélus : « Premièrement, l’émerveillement, car les paroles de Jésus nous surprennent. Mais Jésus nous surprend toujours, toujours. Aujourd’hui aussi, dans la vie de chacun de nous, Jésus nous surprend toujours »[1] D’autant plus, si nous nous exposons à l’Évangile en y puisant dans la grande lumière de l’Eucharistie. Il possède en soi la force de nous disposer pour le chemin. Faisons place à l’écoute stupéfaite qui nous repositionne, nous dispose à ce nouveau commencement de chemin ensemble.
Sur l’écho de la mémoire vigoureuse de saint Jérôme, l’homme rude et colérique, aux fortes passions, souvent en conflit dans ses relations les plus exigeantes, mais scrutateur attentif des Saintes Écritures, au point d’en être transformé – aujourd'hui, l’Évangile nous parle : il nous raconte la fin d’une étape du chemin de Jésus, vers le début de l’étape décisive. [Et nous, nous nous apprêtons à enter dans une étape finale (façon de parler !) du chemin synodal]. Une conclusion mystérieuse qui ouvre l’horizon, d’une manière déroutante, tandis que l’étape précédente semble se clore sur l’ombre d’un échec : en effet, alors que tous l'admiraient, Jésus venait juste d’annoncer pour la deuxième fois que le moment approchait où le Fils de l’homme serait « livré » aux mains des hommes. Et ici, précisément ici, Jésus découvre l’horizon, dévoilant avec rudesse le dialogismos embarrassant des disciples, tout en l’éclairant dans sa folie, par le simple geste de s’approcher d’un petit enfant et de l’installer à ses côtés. Refondation du collège apostolique. Symbole vivant du disciple, qui nous est également offert. Ici, aujourd'hui. Le plus petit fait symbole vivant.
En commentant ce geste prophétique, Jésus nous offre indirectement une vision nouvelle sur la mission – et donc sur le chemin synodal. « Celui qui accueille en mon nom cet enfant, il m’accueille, moi ; et celui qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé ». La mission trouve son origine dans la passion, dans l’invincible attrait de Dieu pour le plus petit, il paidion. C’est une constante dans la révélation de Dieu dans l’histoire humaine, depuis le premier jour de la création jusqu’à Jésus. Les apôtres “ envoyés ”, la mission) doivent toujours repartir de là. La mission, sans cette façon d’“ être avec lui ”, est vaine.
Mais eux, obtus, bien que corrigés par le Maître, continuent à réaffirmer leur vision intégriste qui érige des barrières, qui exclut l’étranger. Et en réponse, Jésus, avec une douce ténacité, révèle que l’Abbà désire tous les hommes “ avec Lui ” — et les reconnaît comme “ siens ” — tous, à commencer par le petit, l’insignifiant. Et c’est à partir de là, précisément à partir de cette incompréhension entre Jésus et les siens, que l’on part pour le chemin “ synodal ” vers Jérusalem. Ici, christologie et ecclésiologie s’embrassent. À partir de là, la IIème session de l’Assemblée synodale se trouve donc puissamment invitée à débuter. Instrumentum Laboris :
« ... voici la question : comment l’identité du Peuple de Dieu synodal en mission peut-elle prendre une forme concrète dans les relations, les parcours et les lieux où se déroule la vie de l’Église ? ». La mission, sans cette manière d’être « avec lui », révélée dans le paidion, n’est tout au plus qu’un bon bénévolat.
Les loghismoi, la recherche du dialogue, l’incommunicabilité entre les différences, les barrières entre les générations, entre les cultures abyssalement différentes : tous les obstacles que nous avons bien mesurés en ces mois de cheminement entre une Assemblée et l’autre, sont ici confrontés à la mesure de vérité qui – dans le symbole - nous repositionne tous: le petit, et même, le plus petit. Jésus ne fait pas ici la morale : il indique, en lui-même, le chemin et le passage.
Alors comment, nous, ici, nous reconnaissons-nous appelés à cette nouvelle étape du chemin synodal, aux confrontations, aux dialogues ? comment nous exposons-nous à la force révélatrice, performante, transfigurante, de l’Eucharistie et, en elle, à l’Évangile ? L’Instrumentum Laboris (I, 25 ; cf. aussi “ Cinq pistes...”), dans la IVème piste d’approfondissement proposée, indique que la méthode synodale inclut aussi la référence liturgique. Mais non pas tant comme procédure rituelle, je pense, que comme lumière inspirante.
Nous savons quel aplatissement du monde ont produit les ridicules discussions, hiérarchies de pouvoir : « ... qui parmi eux était le plus grand » (Lc 9, 46) …
Comment donc identifier le “ plus petit ”, dans la situation que nous vivons à notre époque ? L’enfant sans défense qui s’abandonne avec confiance, le jeune égaré, le prisonnier révolté, le migrant, la personne âgée seule, la femme que personne n’écoute, le ... “ qui ? ” ?
L’art du dialogue, ici refondé, est décisif dans l’Église synodale, une alternative à tous les
dialoghismoï que, plus ou moins consciemment, nous portons dans notre cœur. Un art qui naît
— comme nous le comprenons à travers cet Évangile — d’un plan de réalité que Dieu assume
: la douleur d’une surdité perçue. Cette patience de Jésus, à se faire comprendre de ceux qui — bien que choisis pour être avec lui — restent sourds, est révélatrice : elle parle de Dieu. Un Dieu qui ne renonce jamais à sa soif du “ Tu ” humain et qui fonde ainsi l’art du dialogue. Martin Buber, dans son écrit sur le dialogue, offre un apophtegme hassidique très pertinent à ce sujet : « On raconte qu’un homme, enthousiaste de Dieu, quittant le royaume de la création, erra dans le grand vide. Là, il vagabonda jusqu’à arriver aux portes du secret de Dieu. Il frappa. De l’intérieur, on lui demanda : “ Que cherches-tu ici ? ” Il répondit : “ J’ai proclamé ta louange aux oreilles des mortels, mais ils étaient sourds à ma parole. Alors, je viens à toi, pour que toi- même m’écoutes et me répondes ”. “ Retourne en arrière ”, entendit-il de l’intérieur, “ ici il n’y a pas d’oreille pour toi. J’ai plongé mon écoute dans la surdité des mortels ” ». Et dans cet Évangile, la douceur de Jésus lorsqu’il débusque les pensées “ sourdes ” des disciples révèle pleinement cet abîme. Cet art du dialogue ne s’apprend qu’à son école : en s’exposant, jusqu’à se livrer comme des “ petits ” à l’autre.
À l’Évangile, “ déconcertant ”, les psaumes que nous venons de prier donnent un horizon et une résonance. Deux psaumes performants. Grégoire le Grand dit (Homélies sur Ézéchiel, I.I, 15) que — lorsque la prophétie fait défaut dans son peuple, ce qui arrive souvent ! — c’est la voix des psaumes qui prépare, dans le cœur obscurci, le chemin à l’esprit de prophétie et à la grâce de la componction, chemin qui conduit jusqu’à Jésus. C’est magnifique.
Comme l’écrit Jérôme – que nous commémorons aujourd’hui ! – dans son commentaire redécouvert des Psaumes : « Le psautier est comme une grande maison, qui n’a bien qu’une seule clé extérieure pour la porte – et cette clé, c’est l’Esprit Saint ; mais il possède aussi des clés spécifiques pour les différentes chambres à l'intérieur. Chaque chambre a sa propre clé. Si quelqu’un jette les clés en désordre, quand il voudra ouvrir cette chambre, il lui sera impossible de le faire. À moins de retrouver la clé ». Il arrive fréquemment que, vis-à-vis du psautier, nous ayons cette négligence de jeter les clés et de les considérer comme indéchiffrables, inutiles pour la prière. Aujourd'hui, en ce jour de retraite, cela pourrait être une grâce de retrouver la clé pour entrer dans ces deux merveilleux psaumes : « Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu ». C’est la voix de l’Église, c’est la voix des innombrables petits qui attendent d’être évangélisés, c'est la voix de « mon âme » (Ps 41, 2) en recherche. Deux psaumes splendides nous sont donnés aujourd'hui pour façonner les Louanges de Dieu. Le Ps 41 donne voix à cette soif secrète, innommable, que nous portons en nous. Cette soif est l'âme de la liberté. Une soif qui correspond à la soif de Dieu.
Les cultures auxquels nous appartenons hésitent à s’exposer à cette soif, à l’intégrer dans leurs systèmes symboliques, elles peinent : tant elles sont entachées par des logiques d’entreprise, de pouvoir, de marché ou de bien-être. Ou par des logiques d’évasion. Elles poursuivent des rêves de liberté comme auto-détermination : mais le psaume que nous avons à peine récité nous redonne la soif du Dieu vivant. Lui, le Vivant, a soif de cette soif, comme l’atteste le vieux moine : « Dieu a soif de qui a soif de lui ». Et Teresa de Calcutta nous l’a rappelé avec une humble force. S’exposer longuement à sa lumière, demeurer dans l’Évangile “ comme dans la chair du Christ ” (Ignace d’A.) : c’est une retraite, vivifiante. Comme accueillir près de soi, en soi, l’enfant.
À propos du psaume 41, Abbà Poemen, moine dans le désert égyptien, disait : « Il est écrit : “ Comme la biche soupire après les sources d’eau, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu ”. Comme il arrive aux cerfs dans le désert qui dévorent de nombreux reptiles, lorsque le poison les brûle, de désirer venir boire les eaux qui les soulagent de la brûlure des poisons ingérés, ainsi les moines qui vivent dans le désert sont consumés par l’amertume des passions et désirent donc voir arriver le samedi et le dimanche pour la synaxe, afin de puiser aux sources des eaux, c’est-à-dire au Corps et au Sang du Seigneur qui purifie de l’amertume du malin. » (Apophtegmes, Alf., 30).
Comme Poemen applique le mouvement spirituel du psaume 41 à la réalité du désert, nous pourrions – une fois la clé trouvée – prier le psaume en nous disposant à l’Assemblée synodale comme lieu où l’Esprit nous désaltère dans le désir de conformer notre Église à la mission ardue que le Seigneur, dans ce désert d’aujourd’hui, lui confie. Comme à un petit enfant. On respire dans le psaume une mémoire anxieuse et espérance inquiète : laissons-nous traverser par ses questions (“ Quand ? ”, “ Où ? ”, “ Pourquoi ? ”), pour assembler mémoire et espérance en une harmonie supérieure. De l’abîme (v. 8) d’un aujourd’hui que nous peinons à lire – pourtant nous sommes appelés à l’interpréter comme l’aujourd’hui de la mission -, à l’abîme de la Miséricorde.
Chant de l’âme qui se réjouit de connaître Dieu par la foi
Jean de la Croix
Je connais bien moi la source qui jaillit et coule, bien que de nuit.
Cette source éternelle est cachée,
et pourtant je sais bien moi où elle a sa demeure, bien que de nuit.
En cette nuit obscure de cette vie,
je sais bien moi par foi la source fraîche bien que de nuit.
Son origine je ne le sais, car elle n'en a pas, mais je sais que toute origine
vient d'elle bien que de nuit.
Je sais qu'il ne peut être chose si belle et que cieux et terre s'abreuvent d'elle, bien que de nuit.
Je sais bien que de limite en elle on ne trouve
et que personne ne peut la comprendre bien que de nuit.
Sa clarté jamais n'est obscurcie
et je sais que toute lumière d'elle est venue, bien que de nuit.
Je sais que ses courants sont si puissants, qu'enfers, cieux, ils arrosent, et les nations, bien que de nuit.
Le courant qui naît de cette source je sais bien qu'il est hautement capable
et omnipotent, bien que de nuit.
Et le courant qui de ces deux procède,
je sais qu'aucune des autres47 ne le précède, bien que de nuit.
Je sais bien que les trois
en une seule et unique eau vive résident, et que l'une de l'autre découle,
bien que de nuit.
Cette source éternelle est cachée
en ce pain vivant pour nous donner vie, bien que de nuit.
Ici elle appelle les créatures,
qui de cette eau s'abreuvent, quoiqu'à l'obscur, car c'est de nuit.
Cette source vive que je désire, en ce pain de vie je la vois, bien que de nuit.
[1] FRANÇOIS, Angélus, 18 août 2024.
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