Cardinal Gugerotti: le Liban, «utopie blessée» à sauver d'une fragmentation violente
Alessandro Di Bussolo - Cité du Vatican
L'expérience libanaise de convivialité entre les différents peuples est aujourd'hui «une utopie blessée, née déjà précaire mais fascinante, et nous devons la maintenir vivante pour ne pas tomber dans la fragmentation violente qui affecte le monde entier». C'est ce qu'a souligné le 11 novembre le cardinal Claudio Gugerotti, préfet du dicastère pour les Églises orientales, lors de la présentation du livre «Échos de la crise du Liban. Conflit ou coexistence?», édité par Rubettino, par Mgr Samuele Sangalli, coordinateur de l'école "Sinderesi" de l'Université pontificale grégorienne.
L'expérience de la convivialité des peuples et de la variété des Églises
Le cardinal Gugerotti a souligné la richesse de la publication, qui «enseigne aux étudiants que le monde est complexe et que la coexistence est faite de nuances, qui ne peuvent être négligées, car la survie d'une réalité comme le Liban moderne en dépend». Une expérience «de la convivialité des peuples et de la variété des Églises chrétiennes». Beaucoup ont depuis trouvé un «centre de gravité» extérieur dans la communion avec Rome. Un «miracle libanais» qui fut aussi, a rappelé le préfet des Églises orientales, un modèle de richesse matérielle, la «Suisse de l'Orient» avant de sombrer dans la crise économique actuelle.
Le système de l'Empire ottoman
Dans son discours, le cardinal a retracé les grandes lignes de l'origine de «l'utopie libanaise», grâce à l'engagement de la France post-coloniale dans la réalisation de cette «forme particulière de présence politique dans un environnement où le Christianisme est considéré comme une religion minoritaire». Il a ainsi rappelé que parmi les différents systèmes politiques islamiques, celui de l'Empire ottoman reconnaissait le droit des différents groupes religieux minoritaires à se gérer eux-mêmes, à créer des «millets», nations autonomes composées des différentes Églises chrétiennes, dirigées par leur patriarche. Cependant, dans le modèle libanais, ces différentes compétences et traditions ne restent pas confinées à l'autogestion, mais contribuent ensemble à la gouvernance du pays.
Les différentes communautés chrétiennes, une expérience ecclésiale itinérante
Le préfet du dicastère pour les Églises orientales a ensuite défini le Liban comme une expérience ecclésiale itinérante, de traditions chrétiennes non arabes et non locales, à l'exception de l'Église melkite, liées au pèlerinage; comme la tradition assyro-chaldéenne venue de l’Inde et de Chine, qui s'est ensuite identifiée au monde arabe. Par ailleurs, l'identification des communautés chrétiennes à différents groupes ethniques a créé des problèmes œcuméniques, dus à la difficulté de se rencontrer entre différents clans ethniques plutôt qu’entre dogmes religieux.
Enfin, il est revenu sur un épisode dont il a été témoin pendant la phase de rédaction de l'exhortation post-synodale du Synode sur le Liban. L'évêque maronite qui avait rédigé la première version du document, a «insisté pour que le message du Liban soit un message d'arabité unie. Mais dans le passé, les chrétiens libanais ne voulaient pas se reconnaître comme arabes». Quelque chose a changé, «parce que les patriarches ne parlaient plus le français, mais l'arabe. Les minorités chrétiennes ont compris l'importance d'être acceptées comme une réalité liée à cette région, et non extérieure».
Un laboratoire pour la recherche de solutions efficaces aux conflits
L'intervention du cardinal Gugerotti a été précédée des salutations de Giuseppe Bonfrate, directeur du Centre Alberto Hurtado pour la foi et la culture de la Grégorienne, et de Nino Galetti, directeur de la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung Italia. Mira Daher, ambassadrice du Liban en Italie, a ensuite indiqué que son pays «n'est pas seulement une terre, c'est une idée, unie par un désir commun de vivre ensemble dans la paix. Un symbole de diversité, de résilience et d'espérance». Un État civil «consacré à la liberté religieuse, et non un État théocratique». Il a décrit le Liban comme «non pas une mosaïque, mais un amalgame, car les Libanais sont intégrés et unis par l'amour de leur pays».
Dans la publication éditée par Mgr Sangalli, l’ambassadrice italienne a trouvé «un mélange de perspectives, présentant le Liban comme un laboratoire pour la recherche de solutions efficaces aux conflits qui durent depuis un certain temps au Proche-Orient». Elle a expliqué que les tragédies de la guerre en cours entre Israël et le Hezbollah «nous rendent encore plus unis, et je peux constater cette résilience tous les jours». La diplomate a conclu en qualifiant le système politique confessionnel libanais de «défi et d'opportunité», dont les valeurs de démocratie, de liberté et de coexistence «doivent être préservées, comme un témoignage d'unité, de dialogue et de résilience dans tout le Proche-Orient».
"Echos de la crise au Liban. Conflit ou coexistence?"
Avec le livre "Échos de la crise au Liban. Conflit ou coexistence?" publié en anglais, l'école "Sinderesis" de l'Université Grégorienne entame une enquête sur les situations de conflit aux frontières de l'Europe. L'étude de la crise libanaise actuelle revêt une importance particulière en tant que modèle potentiel pour l'interprétation d'autres situations similaires, dans lesquelles différents groupes sont appelés à vivre côte à côte, au carrefour du conflit ou d'une possible coexistence harmonieuse au Proche-Orient.
L'approche pluridisciplinaire, menée selon le modèle de «discernement social» proposé, «nous invite à retracer les événements historiques clés qui ont conduit à une situation aussi complexe au "Pays du Cèdre"» afin de mieux comprendre les dynamiques géopolitiques, sociologiques, institutionnelles et religieuses du Liban d'aujourd'hui». Un texte qui peut aussi «aider ceux qui ne connaissent pas encore le Liban à connaître et à aimer son histoire et son présent, dans tous les domaines évoqués, et qui invite à se confronter concrètement à ce "Message-Pays et Laboratoire", tout en renouvelant l'espoir des citoyens libanais et en les encourageant à ne pas le perdre.
Une formation à l'Université régorienne
Le cours "Sinderesi" (jusqu'en 2014 "Cenacolo Sinderes" ) est un cours annuel de formation à l'engagement socio-économique et politique, à la lumière de la Doctrine Sociale de l'Église, actif depuis huit ans au Centre de Foi et de Culture Alberto Hurtado de l'Université pontificale grégorienne. Une expérience destinée aux jeunes laïcs de moins de 35 ans, qui vise à développer une passion intelligente pour l'engagement social et politique dans un style communautaire, à accroître le désir de participer à la vie sociale, à l'instar de ce que l'on appelle les «minorités créatives», et à stimuler les compétences critiques, discursives et approfondies en matière de questions sociopolitiques d'une manière ecclésiale.
L'école est configurée comme un atelier culturel international (en italien et en anglais) qui requiert l'engagement et la participation active des jeunes, qui sont impliqués en tant que protagonistes de l'expérience, mais aussi - et surtout - des enseignants qui, dans une tâche «maïeutique», aident les jeunes à entrer avec compétence dans les sujets proposés, en favorisant la création de ces liens d'harmonie idéologique capables de soutenir ensuite un engagement en première personne dans les lieux de responsabilité, professionnels et institutionnels.
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