Mgr Shomali: «La paix est la seule ressource dont nous avons besoin en Terre Sainte»
Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican
Dans leur foyer ou en paroisse, les croyants du monde entier sont invités ce mardi 17 octobre à une journée de jeûne, de prière et d’abstinence pour la paix et la réconciliation en Terre Sainte. Des Etats-unis au Cambodge en passant par la France, des diocèses se proposent de suivre cette initiative du Patriarcat latin de Jérusalem, de l’assemblée des ordinaires catholiques de Terre Sainte, relancée par l’ensemble des patriarches et des chefs des Églises à Jérusalem. Dimanche dernier, le Pape lui-même, lui apportait son soutien, en rappelant que «la prière est la force douce et sainte qui s'oppose à la force diabolique de la haine, du terrorisme et de la guerre».
Mgr William Shomali est le vicaire général et vicaire patriarcal latin pour Jérusalem et la Palestine. Il revient sur le soutien nécessaire à apporter en particulier aux chrétiens de Gaza qui vivent actuellement dans la peur.
Les paroissiens de Gaza ont peur parce que les Israéliens leur ont demandé d'évacuer vers le Sud. Ils n'ont pas accepté parce qu'ils sont déjà réfugiés à Gaza depuis 1948 et ils ont entendu parler de cette expérience malheureuse et ne veulent pas la répéter. Surtout qu'au Sud, rien ne les attend. Il n'y a ni tentes, ni eau, ni nourriture, ni médicaments. Il n’y a rien. Ils se retrouveraient dans les rues ou dans des champs, ça ne peut pas marcher. Donc ils préfèrent, s'il le faut, mourir chez eux. Donc aujourd’hui, la question, c'est la peur et l'impact négatif sur la psychologie des enfants. La moitié des chrétiens qui se trouvent à Gaza (ndrl, réfugiés dans les églises, catholique et orthodoxe de la ville et dans un centre associatif chrétien) sont des enfants qui ont très peur et toute la journée ils ne font rien. Il n'y a pas d'école, donc ils ne pensent qu'à la violence, à ce qui va arriver. Sans parler du fait que pendant la nuit, aucun d’entre eux ne dort parce qu'il y a le bruit des armes, des bombardements. Et quand les gens ne dorment pas, c'est terrible. Le curé qui se trouve là est très fatigué. Il est surchargé parce qu'il doit soigner les 400 fidèles qui se trouvent chez lui, matériellement et spirituellement.
Est-ce que les événements en cours transforment leur foi? Est ce que dans un contexte de peur, la prière peut être, sinon apaisante, au moins structurante?
Comment les aider depuis Jérusalem ? Vous vous faites l'écho d'une réunion ce lundi de dix organisations caritatives chrétiennes, présentes à Gaza, pour une meilleure coordination de l'aide dans l’enclave malgré le blocus. Comment cette aide s'organise?
Il y a un blocus, mais Gaza a deux millions d'habitants et les grands marchands sur place ont des dépôts d'eau, de riz. C'est vrai qu'on ne trouve pas tout ce qu'on veut, mais les choses nécessaires existent encore. Hier, nous avons demandé de l'eau. Le plus difficile était de faire parvenir l'eau aux chrétiens parce qu'il y a un danger d'être bombardé. D’ailleurs, les taxis se font payer beaucoup plus qu'auparavant. Même l'eau coûte plus cher. Avant, une bouteille coûtait l’équivalent de 2 €, maintenant elle coûte 5 €. Et à Gaza, c'est difficile. Parfois, un ouvrier ne prend pas 5 € par jour. Mais, la paroisse distribue l’eau gratuitement. Nous lui envoyons de l’argent, pour l’eau et la nourriture.
Il faut souligner également qu’avant la guerre, nous avons laissé un dépôt et d'autres agences chrétiennes ont un dépôt caché à Gaza. Aussi, à la paroisse, les gens font la cuisine, Ils ont du gaz. Il en va de même à la paroisse orthodoxe. Donc jusqu'à présent, ils ont de quoi boire et manger. Ils disposent aussi d’une citerne souterraine d'où ils font sortir l'eau qui n'est pas potable. C'est pour simplement aller se laver, pour les toilettes. Pour extraire cette eau de la citerne, il faut toutefois de l'électricité et pour l'électricité, il faut du carburant. Or, le carburant va manquer dans deux jours, s'il n'y a pas de nouvel approvisionnement. Et, pour se laver ou pour les toilettes, on a besoin d'eau tous les jours. Donc la situation humanitaire est très fragile.
Sur un plan spirituel, le Patriarcat est donc à l'initiative de cette journée de prière de jeûne, d'abstinence pour la Terre Sainte ce mardi 17 octobre. Quel est le sens de cette initiative?
Toujours dans l'histoire, quand il y a eu des pandémies, des maladies, des catastrophes ou désastres naturels, l'Église a eu recours à Dieu. Car lorsque nous sommes impuissants, c'est la puissance de Dieu qui remplace notre faiblesse. Nous croyons que Dieu peut changer le cours de l'histoire, et convaincre les politiciens à adopter une autre attitude. Regardez la création de l’Union européenne après deux guerres mondiales ?
C'est vrai, c'est une initiative humaine, mais inspirée par Dieu. Tout ce qui est bien, vient aussi de Dieu. Ensuite, la prière peut empêcher le pire. Le pire, c'est évacuer tout le nord de Gaza, bombarder et tuer. Si cela arrive, il y aura un désastre humain terrible. Il pourrait y avoir un génocide parce qu'il y a des milliers et des milliers de personnes qui mourraient. Donc, nous prions pour que le Seigneur nous fasse éviter le pire et pour qu'il donne la force de résister dans le sens humain, de croire en Lui, en sa bonté malgré la souffrance.
Le Patriarcat a donc appelé à la prière. Le patriarche lui-même a proposé de prendre la place, si c'était nécessaire, d'un otage enfant. Le Saint-Siège a proposé une médiation. Comment les chrétiens peuvent aider, sinon à aboutir à la paix, mais au moins à protéger les civils, à arrêter les bombardements, etc.
En tant que patriarcat, nous sommes une petite Église. Nous ne sommes pas une superpuissance comme les États-Unis, la Chine, la Russie. Ainsi, nous ne pouvons pas vraiment élaborer un plan politique de réconciliation entre les deux parties. Mais notre prière inspire les chefs politiques qui lisent nos communiqués. Le patriarche a parlé dernièrement et à plusieurs reprises avec le cardinal Parolin. Le cardinal Pizzaballa a également échangé avec le Secrétaire d'État américain, il a rencontré hier la ministre française des Affaires étrangères et il y a trois jours le chef de la diplomatie italienne.
La voix de l'Église est écoutée. Notre attitude modérée envers les deux parties est plus acceptable que le son d'une seule cloche. Notre prière et notre médiation dans ce sens est positive en vue d’une entente mutuelle, car on le sait il n'y a pas d'entente. Il y a deux langages, deux récits, deux histoires à raconter. Tout est double, tout est contradictoire.
Il faut vraiment des médiateurs, C'est vrai. On peut en partie jouer le rôle de médiateur à travers nos communiqués, pour parler avec les gens puissants, mais aussi il faut que l'Egypte, les Émirats, les Américains interviennent. Ceux sont eux qui ont la puissance de changer le cours de l'histoire.
On a parlé des chrétiens de Gaza, mais plus largement, comment est-ce que cette guerre affecte les chrétiens de Terre Sainte? Vous-même qui êtes Palestinien, quel est votre sentiment aujourd'hui?
Nous sommes tristes et ressentons aussi une certaine angoisse pour l'avenir, parce que quoi qu'il se passe, c'est à nous d'intervenir sur le côté humanitaire. Nous sommes responsables. Nous prions pour que le Seigneur nous épargne un désastre humanitaire qui peut arriver si la guerre continue longuement. Maintenant, la Palestine est bouclée.
Moi, je ne peux pas aller à Bethléem ; les gens de Bethléem ne peuvent pas venir ici. Tous les chemins qui mènent à Jérusalem sont bloqués avec des grands blocs de pierre ou de ciment. C'est fermé.
Autre souci, il n'y a pas de pèlerins, et ainsi il n'y a pas de travail pour la majorité des gens. Donc, d'ici à Noël, les Palestiniens seront confrontés à vraiment beaucoup de pauvreté. Je ne parle pas de Gaza seulement. Cela nous donne un certain sens d'angoisse. Et comment intervenir et réagir s'il y a des difficultés économiques? On ne peut pas toujours compter sur les donateurs. Ils sont fatigués de donner. Il y a eu tellement de guerres entre Gaza et Israël, quatre guerres, et chaque fois, les Européens ont dû reconstruire, reconstruire, reconstruire. On ne peut pas toujours attendre des miracles de la part des donateurs. C'est pourquoi le meilleur don, c'est la paix et l'arrêt de la guerre. Pour cela, nous prions.
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