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Débat en France autour du projet de loi sur la fin de vie Débat en France autour du projet de loi sur la fin de vie  (©Robert Kneschke - stock.adobe.com)

Fin de vie: les évêques français devant les parlementaires

L’épiscopat français, auditionné par la commission parlementaire chargé du projet de loi sur la fin de vie, a émis des réserves quant au risque de renversement de l’interdiction de tuer, «principe structurant de notre société».

Jean-Charles Putzolu - Cité du Vatican

Une délégation des évêques de France était reçue mercredi 24 avril par la commission parlementaire sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Au cours de l’audition, les évêques ont exprimé leurs doutes sur le bienfondé du projet. L’épiscopat continue de soutenir le développement des unités de soins palliatifs, par une meilleure application de la législation existante.

Dans un entretien accordé à Vatican News, Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours et vice-président de la conférence des évêques de France, expose les risques de déséquilibres qui peuvent dériver d’une telle législation.

Mgr Vincent Jordy, vous avez été entendu mercredi 24 avril par la commission des lois, chargée du projet sur la sur la fin de vie. Quelles observations les évêques de France ont-ils observés?

La première observation que nous avons pu faire, et que j'ai faite avec Mgr d'Ornellas, responsable du groupe de travail «Bioéthique», qui m'accompagnait, c'est que nous sommes devant une question complexe, difficile, délicate, mais que pour nous, l'élément essentiel, c'est une forme de basculement anthropologique qui peut s'opérer avec ce nouveau modèle français sur la fin de vie. Il y a un interdit structurant de notre civilisation qui est «Tu ne tueras point», également au cœur du serment d'Hippocrate. Une forme de déséquilibre va être installé dans le régime français autour de l'approche de la mort; déséquilibre face auquel nous sommes très inquiets, car on nous présente cette loi comme une loi d'équilibre. Nous avons évoqué que ce déséquilibre risque de provoquer un certain nombre de glissements et de problématiques à moyen et long terme que l'on observe aujourd'hui dans les pays qui ont légalisé ou dépénalisé l’euthanasie, comme le Canada, la Belgique, la Hollande. Sur des questions concernant les critères, on nous assure que, en France, on aura des critères très stricts et qu'il n'y aura jamais de dérives, qu'il n'y aura jamais de glissement et de banalisation, ni même ce qu'on commence à voir d'une certaine manière au Canada, de dérive économique libérale, d'une lecture un peu financière de la question. Nous avons très clairement exprimé nos réserves par rapport à cette loi, aux portes qu’elle ouvre et aux conséquences que cela pourrait avoir à moyen et long terme.

Cette loi, à en lire le communiqué rendu public après votre audition, manque de mots, n'est-ce pas?

Tout n'est pas dit clairement. Il y a même des mots dont on a le sentiment que le sens a été transformé pour leur faire dire des choses qu'ils ne veulent pas dire. D'abord, le mot ‘euthanasie’ et l’expression ‘suicide assisté’ sont absents du texte. Des soignants l’ont fait remarquer. Des juristes l'ont dit de manière beaucoup plus formelle. Le Conseil d'État, une instance tout à fait importante dans l'équilibre de l'approche de la loi, souligne l’absence de ces mots. Et puis, il y a le fameux mot ‘fraternité’. On nous parle de gestes qui seraient des gestes de fraternité. Le sens de ce mot est réduit à une vision limitée de solidarité, d'utilitarisme, mais qui n'apprécie pas la profondeur de champ du mot fraternité. Certains journalistes en France ont dit que la fraternité défendue par les évêques est une ‘fraternité religieuse’, tandis que la République défend une ‘fraternité républicaine’. Il y a cependant un lien entre les deux. On ne peut pas dire que les deux fraternités n'ont rien à voir. En France la fraternité est désormais un principe constitutionnel. Et précisément, beaucoup de constitutionnalistes et de juristes ont critiqué la définition donnée à cette fraternité constitutionalisée: une définition plus proche de la définition chrétienne, comme une forme de bienveillance, que de la définition républicaine, qui se rapproche plus d’une solidarité dans le droit.

Nous sommes vraiment devant une sorte d'écran de fumée, puisque ce que l'on veut dire, on ne le dit pas vraiment. Et ce qu'il faudrait dire n'est pas dit, parce que la fraternité républicaine autoriserait le droit de donner la mort. Un journaliste très connu a publié une tribune disant que la fraternité républicaine, c'est la solidarité dans les droits économiques et sociaux, et la capacité de s'autodéterminer. C’est une approche tout à fait nouvelle. Ce sont des courants de pensée qui essaient de donner un sens à des mots qui traversent l'histoire, mais dont la sémantique est en train d'évoluer. Et parfois, peut-être, nous sommes même au bord de la manipulation.

L'Église de France essaie de se projeter dans le temps par rapport à ce texte. Quelles pourraient être les conséquences, selon vous à long terme, si jamais cette porte devait être ouverte?

C’est un élément que j'ai rappelé aux parlementaires présents et aux membres de la commission. Oui, il y a des risques à moyen et long terme, comme on peut les observer en Belgique, en Hollande, au Canada. En Belgique, en une dizaine d'années, on est passé de critères très stricts -il s'agissait uniquement de personnes majeures- aux personnes mineures. Maintenant, en Belgique, même des enfants sont concernés. Ensuite, on a vu que les critères d'accompagnement dans le processus de vérification de la mise en œuvre de l'euthanasie et du suicide assisté dans ces pays est parfois très difficile. En Belgique toujours, à peu près un tiers des euthanasies sont clandestines, malgré le protocole en place, et la Cour européenne des droits de l'homme a sanctionné la Belgique, justement pour ce manque de contrôle. Au Canada, on a vu un effet qui nous paraît extrêmement problématique. Plus on fait la promotion de l'euthanasie, plus disparaissent les soins palliatifs et peu à peu s'effacent.

Alors que cette loi est présentée de manière tout à fait symbolique comme une loi de liberté, la dernière liberté à conquérir. On se rend compte au bout d'un moment qu'il n'y a plus de vraie liberté. Tout simplement parce qu‘il n'y a plus de choix. Pour qu'il y ait liberté, il faut qu'il y ait choix. Quand vous n'avez plus que l'euthanasie comme choix, parce que les soins palliatifs sont devenus peu à peu déficients, vous n'avez plus le choix. Ensuite, la liberté est profondément atteinte parce qu'il y a une banalisation de l'euthanasie et une telle pression de cette mentalité morbide sur les esprits que les gens ont le sentiment que la seule solution pour eux reste le consentement, l’acceptation de l'euthanasie ou d'aller vers le suicide assisté. Il faut faire très attention. Ce que nous voyons se profiler au Canada actuellement, et d'une certaine manière aussi en Belgique, nous inquiète beaucoup.

J’ai également posé la question de la dimension libérale économique du sujet, qui énerve beaucoup les parlementaires, je l'ai bien senti. Mais il faut quand même rappeler que là aussi, au Canada, la question a été posée. Un rapport existe, reçu par la commission sociale du Sénat français, qui reprend cet argument et qui dit qu’au Canada la question n’est plus un tabou. Et donc, dire que cette question ne rentre pas en ligne de compte revient à ne pas respecter la vérité. Même si nous ne pensons pas que les députés actuels ou que la commission actuelle pensent à cet argument là, nous voyons que, progressivement, la banalisation de l'euthanasie fait que, au bout d'un moment, cette question arrive tout naturellement. Et bien évidemment, elle est intégrée à ce moment-là dans le modèle de fin de vie du pays qui l'a adopté.

Est-il nécessaire de rappeler que la religion catholique ne s’oppose pas à l'accompagnement vers la mort, mais pas celui qui est proposé dans le texte de loi? Vous avez mentionné les soins palliatifs, la législation en la matière pourrait-elle être mieux appliquée?

Effectivement, il y a une législation. Il existe quatre lois en l'espace de 25 ans. La première en 1999, puis les lois Léonetti et le dispositif Kouchner. Toutes ces lois existent, mais elles ne sont pas appliquées aujourd'hui. On sait qu’un Français sur deux n'a pas accès aux soins palliatifs. Le Conseil national d'éthique avait suggéré qu’avant d'aller vers une nouvelle législation, il fallait d'abord assurer ce premier moyen d'aborder la fin de la vie, celui des soins palliatifs. Cet avis n’a pas été suivi. On est sur le point d'aller vers un nouveau dispositif législatif sans que les dispositifs précédents aient eu les moyens d'être mis en œuvre.

Vous avez cité dans le communiqué diffusé mercredi, le serment d'Hippocrate que fait tout médecin et qui dit explicitement: «Je ne provoquerai jamais la mort délibérément». Que dire des médecins qui appliqueraient le texte législatif en projet aujourd'hui?

C'est évidemment très compliqué. J'entends bien que dans le monde médical, il y a beaucoup de gêne face à ce texte, alors qu'il y a des gens qui sont des promoteurs de la chose et d'autres très opposés. Nous, nous voulons qu'il puisse y avoir une clause de conscience des soignants et voire une clause de conscience institutionnelle dans certains hôpitaux, dans les maisons de retraite, dans les EHPAD. C'est une vraie question pour que le personnel soignant qui en conscience, ne veut pas participer à ce type de geste, parce qu'à nouveau le geste d'aller, comme le prévoit la loi Leonetti, vers une sédation profonde, ne correspond absolument pas au geste qui consiste à injecter une solution létale pour amener la mort. L'intention n'est pas la même et donc nous pensons qu'il faut absolument permettre d'avoir cette clause de conscience pour faire en sorte que ceux qui ne veulent pas intégrer ce geste parce qu'ils ne correspondent pas à leur éthique et aux choix de vie qu'ils ont fait, aux choix de profession qu'ils ont fait, puissent le faire.

Au terme de son assemblée de printemps, la Conférence des évêques de France a chargé quatre évêques du porte-parolat sur ce dossier. Quelle va être votre mobilisation?

Une équipe de trois évêques travaillait déjà sur ce dossier depuis un an et demi. Le porte-parolat, c'est la dimension plus médiatique de notre travail. Nous nous retrouvons tous les deux mois avec des acteurs liés à la question de la fin de vie. Nous rencontrons des médecins, des associations de soignants, des juristes, des blogueurs, des éthiciens, pour réfléchir à cette question et individualiser des moyens de réfléchir et de continuer à essayer de peser sur ce débat. Ce que nous prévoyons, c'est aussi d'avoir un moment de réflexion avec les autres cultes. Je pense qu'il y a un vrai travail que nous avons à faire sur les conséquences à moyen et long terme. Nous sommes là pour le temps long. D'ailleurs, c'est ce qu'avait dit le président de la République lorsqu'il a visité la communauté Sant'Egidio l'an dernier. Il avait souligné que la place de la religion dans un débat de société, c'est le temps long. Je pense donc que c'est à nous de mobiliser et de pouvoir réfléchir avec ceux qui ont une expérience un peu plus ancienne que la nôtre, comme le Canada, la Belgique, la Hollande, ou encore la Suisse, afin de pouvoir, à travers leur expérience, exposer ce qu’il se passe ailleurs et ce qu’il risque de se passer en France, parce qu'on ne voit pas très bien en quoi la France serait préservée de certaines tentations et de certains glissements ou de certains ‘progrès’, comme certains présentent le projet français de législation sur la fin de vie. Nous ne voyons pas très bien comment nous éviterions certains glissements qui pourraient avoir des conséquences extrêmement dramatiques.

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25 avril 2024, 10:47