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138 prêtres, séminaristes et religieuses ont donné leur vie durant la Seconde Guerre mondiale. 138 prêtres, séminaristes et religieuses ont donné leur vie durant la Seconde Guerre mondiale.  Les dossiers de Radio Vatican

Les visages oubliés des ecclésiastiques normands tués pendant la guerre

Ce 6 juin, les anciens Alliés commémorent les 80 ans du Débarquement en Normandie. C’est l’occasion de se souvenir du sacrifice des jeunes gens morts pour libérer l’Europe de l’occupation nazie, de célébrer la paix retrouvée, de renforcer les liens entre occidentaux alors qu’un conflit ensanglante de nouveau l’Europe. C’est aussi le moment de se souvenir des prêtres, religieux et religieuses tués pendant le conflit en Normandie et de raviver le témoignage de foi qu’ils nous ont laissé.

Xavier Sartre – Cité du Vatican

7 juin 1944, 1h20 du matin. Alors que les Alliés ont débarqué la veille au matin sur les plages normandes, à peine à quelques dizaines de kilomètres de là, une pluie de bombes tombe pour la seconde fois en quelques heures sur la ville de Lisieux. L’abbaye millénaire de Notre-Dame-des-Près, fondée en 1011, qui accueillit sainte Thérèse de l’Enfant de Jésus qui y fit sa première communion est rayée de la carte en quelques minutes. Ce que les bombes n’ont pas détruit sur le coup, les flammes de l’incendie qui s’ensuit le consument. Vingt-et-une sœurs bénédictines, dont la mère prieure, sont tuées. Elles font partie des milliers de civils français qui perdent la vie dans les combats et les bombardements qui ont précédé ou qui ont suivi le Débarquement du 6 juin.

 

«C’est une situation dramatique parce qu’en douze minutes les sœurs survivantes ont tout perdu; tout ce qui était leur vie si réglée, leur vie bénédictine, n’existe plus. Les bâtiments sont en feu, les cadavres des sœurs sont là», raconte le père Pascal Marie, curé d’Honfleur qui a effectué un travail de recherche de tous les prêtres, religieuses et religieux du diocèse de Bayeux-Lisieux tués pendant la Seconde Guerre mondiale. «Il y a cette scène étonnante» poursuit-il. La mère cérémoniaire, se rendant compte que quelques survivantes avaient encore leur livre d’office, déclara alors au matin: «Faisons ce pour quoi nous sommes faites», et au milieu des ruines fumantes et des corps de leurs sœurs, «elles vont chanter l’office». «C’est un exemple assez extraordinaire qu’elles nous donnent et qui aujourd’hui nous interpellent encore» estime le père Marie.

Travail de mémoire

Le curé d’Honfleur, à trente-cinq kilomètres au nord de Lisieux, est parvenu ces dernières années à établir la liste complète des religieuses tuées pendant la guerre dans le seul diocèse de Bayeux-Lisieux, l’un des plus meurtris par le conflit en France. Il a ainsi complété une liste qui ne recensait exactement jusqu’alors que les prêtres tués entre 1940 et 1944. En tout, 138 hommes et femmes d’Église furent tués soit dans les bombardements alliés, soit par les Allemands pour, notamment, fait de résistance. «J’ai voulu reprendre le fil de l’histoire diocésaine, le temps faisant son œuvre, le nombre de témoins disparaissant. J’ai voulu montrer que des prêtres, des religieux et des religieuses et des séminaristes ont péri, certains en donnant leur vie pour la liberté», explique le père Marie.

«Parmi toutes ces personnes, il y a des vies extraordinaires», confie-t-il, citant en premier chef l’abbé Jean Daligault, arrêté en 1941 pour résistance et déporté NN («nuit et brouillard»). Cette figure atypique du clergé normand, fut transféré de camps de concentration en prisons allemandes pendant toute la guerre. Peintre, il a voulu garder cette âme d’artiste et s’est donné les moyens de peindre en cellule. «Il a réussi à se reconstituer une palette de couleurs, en grattant la peinture sur les murs, en se servant de la rouille de la pelle qui servait pour balayer, et en se servant de bouts de savon. Il a utilisé le papier journal destiné aux latrines pour se faire des toiles et des morceaux de paille pour fabriquer des pinceaux. Il a peint entre 100 et 150 toiles qui heureusement ont été préservées et sauvées par un prêtre allemand. Elles illustrent comment un homme garde dans l’horreur absolue cette âme d’artiste. À travers ces œuvres, il y a cette part de l’humain qui subsiste et l’humain qui, au milieu des choses les plus terribles, est capable de vouloir chercher un certain sens, une forme de beauté», raconte le père Pascal Marie. L’abbé Daligault sera exécuté d’une balle dans la nuque par les SS le 28 avril 1945 à Dachau, la veille de la libération du camp par les troupes américaines.

Des témoignages de foi qui inspirent

«Au-delà de cette force incroyable qu’ils et qu’elles ont su montrer pendant ces événements terribles, en dehors de cette capacité qu’ils ont eu donner leur vie pour la France et la liberté, ils nous livrent un grand message actuel de paix parce que finalement, tout ce qu’ils ont cherché au cours de leur vie, c’est de donner un sens à la paix, estime le curé d’Honfleur. Et ce message est tellement important pour notre monde d’aujourd’hui, c’est pourquoi nous avons besoin d’exemples, de gens qui nous montrent le chemin, que la paix est possible».

Les commémorations du 6 juin 44 sont ainsi l’occasion de se souvenir de ces hommes et de ces femmes qui ont été capables de choses «extraordinaires». «Dans les situations terribles, il y a toujours ce petit rayon de lumière qui va permettre à l’homme de se dépasser, d’aller vers ce qui est grand et beau et qui nous rappelle Dieu», affirme le prêtre normand. «Si le souvenir de ces victimes permet cela, on aura vraiment réussi ce devoir de mémoire».

Ce devoir de mémoire, il passe aussi par le fait de donner un nom et un visage à toutes ces victimes, ce qui permet de les «réincarner» et de les montrer aux nouvelles générations pour qu’ils s’en sentent plus proches. Cela permet aussi aux familles de faire leur deuil, même après 80 ans. «Pour la première fois, le nom de leur défunt va être inscrit sur un lieu mémoriel», explique le père Marie, puisqu’une plaque sera dévoilée au cours de la messe le 8 juin en la cathédrale de Bayeux avec le nom des 138 prêtres, séminaristes religieux et religieuses victimes de la Seconde Guerre mondiale. «Je suis en relation avec une sœur de sang d’une des religieuses –elle a 101 ans– et vous n’imaginez pas sa joie de sentir que sa sœur n’est pas oubliée mais bien reconnue».

Entretien avec le père Pascal Marie, curé d'Honfleur

 

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06 juin 2024, 08:30