Les aides financières à la Syrie rétrécissent, la minorité chrétienne en danger
Delphine Allaire - Cité du Vatican
Douze années de guerre (2011-2023), aucun agenda de reconstruction à l’horizon. «À Homs, Alep, Deir Ez-Zor ou Raqqa, la vie n’a pas repris. Ces villes détruites à très large échelle ne se reconstruisent pas. Certaines sont en ruines, et pourtant les combats y ont cessé depuis sept ou dix ans», alerte Vincent Gelot, directeur-pays de L’Œuvre d’Orient pour la Syrie. Cet humanitaire français et chrétien travaille dans le pays exsangue depuis sept ans. Il reçoit aujourd’hui «de façon accablante et révoltante» les dernières réductions onusiennes à l’aide alimentaire pour une population éprouvée par l’exode, la mort, les bombardements, les pénuries. Une décision incompréhensible vue du terrain. Avant le séisme du 6 février 2023, 12 des 21 millions de Syriens étaient en proie à la faim, selon le PAM. «La réponse humanitaire est nettement insuffisante par rapport à l’ampleur des besoins de la population déplacée. Nous nous sentons extrêmement désarmés», remarque Vincent Gelot, saluant «le travail admirable», effectué «dans des conditions désastreuses, sans électricité, ni mazout», des associations locales, seules forces vives restantes.
Un état de santé spirituel vacillant
Dans ce contexte, L’Œuvre d’Orient s’inquiète de l’état de santé physique, moral et même spirituel des communautés religieuses travaillant sur place. Une minorité chrétienne bimillénaire en souffrance et en voie de disparition d’ici 2060. Selon les chiffres de L’Œuvre d’Orient, la Syrie comptait 2 millions de chrétiens au début de la guerre en 2011, ils sont aujourd’hui 500 ou 600 000. La cité d’Alep comptait 150 000 chrétiens avant-guerre, pour 25 000 dont seulement 4 000 entre 18 et 30 ans, aujourd’hui. Un drame pour cette antique terre biblique et paulinienne, où comme en Palestine ou au Liban, les chrétiens participent au bon fonctionnement de la société. Leur disparition serait synonyme d’un appauvrissement de la culture syrienne, qui deviendrait alors mono-culturelle et mono-religieuse, déclarait à Vatican News le cardinal Mario Zenari, nonce apostolique à Damas, et le seul du Moyen-Orient à n’avoir jamais quitté son poste depuis sa nomination en 2008.
Le nœud diplomatique syrien, impasse humanitaire
Vincent Gelot déplore l’abandon de la population syrienne par le pouvoir en place et par l’Occident «pour des raisons politiques». L’humanitaire spécialiste du Levant ne constate par ailleurs aucune conséquence concrète ni significative des récentes recompositions dans le monde arabe. Pour l’heure, le retour de la Syrie dans la Ligue arabe ou le rapprochement irano-saoudien n’infléchissent pas la donne. Les alliés de Damas à Moscou ou Téhéran se cantonnent à des aides militaires et stratégiques. «Les pays avec lesquels la Syrie renoue en ce moment ne sont pas non plus des modèles de démocraties», ajoute Vincent Gelot à propos d'une possible manne financière venue du Golfe. Il dénonce un nœud diplomatique, «entre un Occident ne souhaitant pas entendre parler de reconstruction tant que le régime Assad est en place», et de l’autre côté, «des alliés du régime qui n’ont pas les moyens ni l’envie de reconstruire le pays».
Levée des sanctions partielles et totales
L’effort de reconstruction semble titanesque. 400 milliards de dollars, selon l’ONU. La promesse de 5,6 milliards d’euros apportées à la conférence de Bruxelles pour l’avenir de la Syrie et des pays de la région (14-15 juin 2023) semble une goutte d’eau. En diminution par rapport à la conférence de l'année précédente (6.4 milliards d'euros), la somme est principalement destinée à aider les pays voisins de la Syrie -la Turquie, l'Irak, la Jordanie, le Liban- qui accueillent près de 5,4 millions de réfugiés syriens.
L’Œuvre d’Orient a suivi avec attention cette nouvelle réunion, coorganisant la même semaine une conférence sur «les défis humanitaires et de développement des acteurs religieux en Syrie: Une perspective chrétienne» au siège bruxellois de la Comece. Des événements rendus possible par l’ouverture d’un nouveau bureau de L’Œuvre d’Orient destiné au plaidoyer dans la capitale européenne. À ce titre, l’organisation catholique plaide, tout comme le Saint-Siège, pour une exemption générale des sanctions européennes pour l’humanitaire en Syrie, pour plus de réhabilitation des bâtiments détruits après le tremblement de terre et de développement, pas uniquement d’humanitaire, sur l’ensemble du territoire syrien.
En ce sens, les organisations chrétiennes en Syrie sont «des partenaires fiables et idéaux de l’aide» car elles jouissent d’une plus grande liberté, ayant accès à des zones où personne ne parvient à se rendre, et sont des acteurs de dialogue et de paix entre communautés de différentes confessions.
«La politique de l'Union européenne à l'égard de la Syrie n'a pas changé, a répété Josep Borrell. Nous ne rétablirons pas des relations diplomatiques complètes avec le régime d'Assad ni ne commencerons à travailler à la reconstruction tant qu'une véritable et complète transition politique ne sera pas fermement engagée, ce qui n'est pas le cas», explique le haut-représentant de l'UE pour les Affaires étrangères lors de la conférence des donateurs.
«Cas unique dans l'histoire des guerres modernes»
«Nous avons pourtant le sentiment que seul l’Occident serait en mesure de rebâtir ce pays», ajoute Vincent Gelot, regrettant aussi l’aide occidentale à géométrie variable selon les trois régions du pays: celle contrôlée par le régime, celle par les Kurdes -au nord-est-, et par les rebelles armés ou djihadistes -au nord-ouest-. «Chacune ne reçoit pas la même aide pour des raisons politiques. Certains pays, dont la France, soutiennent massivement les régions contrôlées par les Kurdes et par les rebelles, et ne donnent quasiment rien pour celle contrôlée par le régime. D’un point de vue humanitaire, c’est inacceptable. Une personne vulnérable reste vulnérable indépendamment d’où elle se trouve», assure-t-il, rappelant combien «soutenir la minorité chrétienne du Moyen-Orient n’est pas une question religieuse, mais d’humanisme», au risque d’une disparation dans les quarante prochaines années. En effet, les candidats à l’exode sont de plus en plus nombreux, depuis le séisme notamment, et en particulier chez les chrétiens. Or, les chrétiens syriens sont un des canaux possibles pour soutenir la population syrienne.
«Il est révoltant d’avoir laissé une population au milieu des ruines. C’est unique dans l’histoire des guerres modernes. Depuis la Seconde Guerre mondiale, chaque guerre a donné lieu à un élan de reconstruction. En Syrie, ce n’est pas le cas pour des raisons politiques», désapprouve le responsable de L’Œuvre.
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