Rencontre interreligieuse: créer des liens entre les différences
Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican
C’est l’un des rendez-vous parmi les plus importants de l’étape indonésienne du Pape François. La rencontre interreligieuse, au sein de la mosquée Istiqlal de Jakarta, la plus grande d’Asie du Sud-Est, concrétise l’esprit de dialogue entre les différentes religions qui coexistent pacifiquement dans le pays. D’emblée, pour souligner les bonnes relations entre chrétiens et musulmans, François rappelle que l’architecte qui a conçu la mosquée était chrétien. Friedrich Silaban est par ailleurs aussi le concepteur du stade Gelora Bung Karno où le Pape doit ce jeudi célébrer la messe. Le fait qu’un chrétien dessine une mosquée «témoigne du fait que, dans l’histoire de cette nation et dans la culture que l’on y respire, la mosquée, comme les autres lieux de culte, sont des espaces de dialogue, de respect mutuel, de coexistence harmonieuse entre les religions et les différentes sensibilités spirituelles», observe François.
Le tunnel de l’amitié
Mais ce n’est pas tout. Il existe un autre témoignage concret de cette harmonie: le "tunnel de l’amitié", qui relie la mosquée Istiqlal à la cathédrale Sainte-Marie de l’Assomption, située juste en face. Visitant ce tunnel avec le grand imam, Nasaruddin Umar, le Successeur de Pierre a évoqué la lumière en s’adressant à l’imam: «Quand on pense à un tunnel, on imagine facilement un chemin sombre qui peut faire peur, surtout si l’on est seul. Ici, c’est différent, car tout est éclairé. Mais je voudrais vous dire que vous êtes la lumière qui l’éclaire, par votre amitié, l’harmonie que vous cultivez, le soutien que vous vous apportez mutuellement».
François a développé sa pensée sur le rôle des religions: «aider chacun à traverser le tunnel les yeux tournés vers la lumière», et ainsi reconnaitre «un frère, une sœur, un frère, une sœur, avec qui nous pouvons partager la vie et nous soutenir réciproquement». Ce tunnel est significatif de ce que l’amitié entre traditions religieuses différentes peut opposer aux «nombreux signes de menace» et «aux périodes sombres». Il favorise «une rencontre, un dialogue», et «peut se transformer en une véritable expérience de fraternité, en une caravane solidaire», a déclaré le Pape.
Marcher ensemble pour écarter l’extrémisme
Dans l’immense mosquée, qui peut accueillir jusqu’à 120 000 personnes, l’imam Nasaruddin Umar a rappellé que l’édifice n’est pas uniquement un lieu de culte pour les musulmans, mais également «une grande maison pour l'humanité», qui «accueille régulièrement des activités interconfessionnelles, interculturelles et diplomatiques». L’évêque de Rome l'a ensuite encouragé à poursuivre sur cette voie: à marcher ensemble «à la recherche de Dieu et contribuer à construire des sociétés accueillantes, fondées sur le respect mutuel et l’amour réciproque, capables d’écarter la rigidité, le fondamentalisme et l'extrémisme, qui sont toujours dangereux et jamais justifiables».
Regarder toujours en profondeur
Poursuivant son allocution, le Pape a suggéré deux orientations. La première: «Regarder toujours en profondeur» pour aller chercher ce qui unit au-delà des différences. François a évoqué les deux niveaux qui matérialisent les espaces de la cathédrale et de l’église: en surface, les espaces réservés au culte, avec les rites et les pratiques de chacune des religions. En dessous, le tunnel, qui relie mettant en relief les racines communes à toutes les sensibilités religieuses, comme «la rencontre avec le divin», et «la soif d’infini que le Très-Haut a mis dans notre cœur». Pour le Pape, «en saisissant ce qui coule au plus profond de nos vies, […]nous découvrons que nous sommes tous frères, tous pèlerins, tous en marche vers Dieu, au-delà de ce qui nous différencie».
Prendre soin des relations
La seconde invitation adressée par le Saint-Père concerne l’entretien des relations entre les religions. Chercher à tout prix un point commun entre les différentes doctrines et professions religieuses n’est pas la priorité. Au contraire, une telle approche peut finir par diviser. Ce qui est important, a souligné François, «c’est de créer une liaison entre nos différences, de veiller à cultiver des liens d’amitié, d’attention, de réciprocité». C’est-à-dire s’ouvrir à l’autre, apprendre de la tradition religieuse de chacun, savoir s’entraider. C’est ainsi qu’il sera possible de marcher ensemble pour «la défense de la dignité humaine, la lutte contre la pauvreté, la promotion de la paix».
Promouvoir l’harmonie religieuse pour le bien de l’humanité
Le Pape François, l’imam d’Itsilqlal, ainsi que les représentants des autres religions présentes dans le pays, ont signé la déclaration commune orientée sur deux principaux axes: «la déshumanisation et le changement climatique». L’image n’est pas sans rappeler la signature du document sur la Fraternité humaine en février 2019 avec l’imam Al Fayyed à Abou Dhabi. À Jakarta, le texte s’intitule “Promouvoir l’harmonie religieuse pour le bien de l’humanité”, il dénonce «une violence et des conflits généralisés» générés souvent par une instrumentalisation de la religion; et «l'abus par l'homme de la création, notre maison commune» qui a contribué au changement climatique. En réponse à cette double crise, les chefs religieux signataires s’engagent à une promotion efficace des valeurs communes des traditions religieuses, à œuvrer en faveur de la réconciliation, du respect et de la solidarité fraternelle. La déclaration mentionne également la nécessité d’une collaboration étroite afin de faire face aux crises, d’en identifier les causes et de prendre les mesures qui s’imposent. Puisqu’il n’existe qu’une seule famille humaine, le document souhaite que le dialogue interreligieux soit reconnu comme «un outil efficace pour résoudre les conflits locaux, régionaux et internationaux, en particulier ceux causés par l'abus de la religion». Enfin, en matière de protection de l’environnement, toutes les personnes de bonne volonté sont invitées à «agir de manière décisive pour préserver l'intégrité de l'écosystème et de ses ressources héritées des générations précédentes, que nous espérons transmettre à nos enfants et petits-enfants»
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