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Le président des États-Unis, Joe Biden. Le président des États-Unis, Joe Biden.  

Joe Biden candidat: aux États-Unis, le camp démocrate est déchiré par le doute

À deux mois du Congrès des démocrates lors duquel le candidat du parti est officiellement désigné, Joe Biden se dit «fermement décidé à rester en course». Pourtant des voix s’élèvent, au sein même de son camp, pour demander au président sortant âgé de 81 ans de retirer sa candidature à la présidentielle du 5 novembre. Entretien avec l'historienne et politologue, spécialiste des États-Unis, Nicole Bacharan.

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

La santé du président américain est devenue un sujet mondial. À 81 ans, Joe Biden, candidat à sa réélection à la Maison Blanche, se donne le plus grand mal pour témoigner de sa vigueur: un discours livré avec assurance à l’ouverture du sommet de l’Otan à Washington, une conférence de presse sans note et sans prompteur ce jeudi 11 juillet au soir, un déplacement dans l’État clé du Michigan le lendemain.

Chacune de ses apparitions est désormais scrutée. Il faut dire que sa prestation désastreuse lors du débat fin juin face à Donald Trump -quand il perdait, par exemple, le fil de sa pensée, a inquiété au plus haut point. 72% des Américains considèrent qu’il n’a pas la capacité physique et mentale de rester à la Maison Blanche. D’après le même sondage de CBS, 45% des démocrates souhaiteraient qu’il retire sa candidature à la présidentielle du 5 novembre.

C’est encore marginal, mais 7 députés de son camp, rejoints mardi soir par un sénateur et par l’acteur George Clooney, lui ont demandé publiquement de jeter l’éponge. Le comité éditorial du New York Times a par deux fois formulé le même vœu. Mais le principal intéressé, via son porte-parole à la Maison Blanche, fait savoir qu’il compte bien gouverner quatre ans de plus en cas de réélection en novembre.  

Historienne et politologue spécialiste des États-Unis, Nicole Bacharan revient sur les préoccupations liées aux conditions physiques et mentale de Joe Biden avant la présidentielle du 5 novembre:

La santé de Joe Biden est devenue une question mondiale et maintenant tout le monde le surveille. Dès qu'il apparaît en public, le monde entier regarde, en se demandant s’il a l'air de l'avoir de l'énergie, si ses propos sont clairs, s’il est capable de mener cette campagne jusqu'au bout et s’il est capable de conduire le pays pendant quatre ans de plus, en sachant qu'être président des États-Unis est une charge écrasante.

L’invitant à se décider «car le temps presse», la ténor démocrate Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants a estimé «légitime» de s’intéresser à l’état de santé de Joe Biden. Récemment, on l’a vu hagard ou perdre le fil de sa pensée. Que sait-on de son état réellement de son état?

On sait que Joe Biden est âgé. Lors de la dernière conférence de presse à la Maison Blanche, on a vu des journalistes pugnaces chercher à savoir s'il y avait autre chose, peut-être une maladie chronique qui expliquerait aussi, au-delà de l'âge, ce passage en très mauvaise forme à la télévision (lors du débat du 27 juin). Et la visite relativement fréquente d'un spécialiste de la maladie de Parkinson soulève des doutes. Mais on n'en sait pas plus, et la Maison Blanche verrouille les informations.

Après le débat du 27 juin, 72% des Américains estiment qu'il n'est plus apte à gouverner. Et pourtant, lui reste. Pourquoi?

Écoutez, l'âge de Joe Biden était déjà une inquiétude lors de son élection en 2020. C'est pourquoi il avait annoncé, une fois élu, qu'il serait un président de transition et qu'ensuite il passerait le flambeau à une génération plus jeune.

Aujourd’hui, plusieurs raisons font qu'il ne veut pas partir. L'une d'entre elles est le fait que Donald Trump a resurgi comme son adversaire en 2024. Il y a une animosité extrêmement profonde entre ces deux hommes. Joe Biden l'a battu en 2020 et il pense qu'il est le meilleur pour le battre en 2024. Il perçoit Donald Trump comme une menace existentielle planant sur la démocratie américaine.

Après cela, il y a la difficulté à renoncer au pouvoir. La politique a été vraiment toute sa vie (ndlr: il a fait son entrée au Sénat en 1972, à l’âge de 30 ans). Joe Biden a deux passions, la politique et sa famille. Et c'est vrai que renoncer à la politique, particulièrement après un très bon mandat, ce serait pour lui un déchirement épouvantable.

Aujourd'hui, nombre de démocrates rejettent sa candidature, peut-on envisager que sa détermination à rester soit stratégique, qu’une renonciation tardive serve à créer une nouvelle dynamique pour permettre aux démocrates de l'emporter en novembre?

Personnellement, je n'ai aucun doute: la stratégie de Biden, c'est de finir la campagne et d'être réélu président afin d'exercer le pouvoir quatre ans de plus. Sa stratégie est sans ambiguïté et il veut l'imposer. On dirait même qu'il est parti en guerre d'une certaine manière contre une partie de son camp, évidemment les élus, les donateurs qui cherchent à le pousser dehors, mais aussi les éditorialistes, les commentateurs, certains journaux… Ils les accusent de s'être trompés tout le temps: lors de son élections en 2020, puis en 2022 quand ils annonçaient une vague rouge au Congrès et à nouveau aujourd’hui. Mais c'est une très dangereuse stratégie que d'attaquer son propre camp.

Quelles conséquences peut avoir le rapport de force entamé avec son électorat?

Le camp démocrate se trouve extrêmement affaibli en ce moment. Donald Trump n'a même pas besoin de faire campagne. À partir du moment où les démocrates -ou un grand nombre d'entre eux- n'ont plus confiance dans leur candidat, on ne voit pas comment ce dernier pourrait gagner une élection. En ce moment même, des représentants démocrates, des sénateurs, des donateurs, des chefs d'entreprise se réunissent pour imaginer la suite, certains avec l'idée qu'ils doivent faire pression sur Biden afin qu'il se retire et d'autres qui accepteraient l’idée de poursuivre un moment avec lui. Joe Biden fait courir un très gros risque à son parti. Au fond, les démocrates et Joe Biden en particulier doivent évaluer quel est le plus grand risque. Continuer avec Biden semble aujourd'hui aller à la défaite. Le remplacer, c'est un pari très risqué, mais peut-être le seul qui leur reste.

Est-ce qu'il existe aujourd'hui quelqu'un ou quelque chose qui puisse le contraindre à retirer sa candidature?

Il faut savoir qu'il y a une seule personne qui peut décider de mettre fin à la campagne de Joe Biden, c'est Joe Biden lui-même. Il n'y a aucune instance, aucune autorité qui puisse le faire à sa place. La personne qui a le plus d'influence sur lui, c'est son épouse, Jill Biden. C'est un couple vraiment fusionnel. Un couple politique. Elle l'a toujours soutenu, toujours protégé, toujours défendu bec et ongles et au fond, elle-même fait face à un dilemme. Est-ce que son amour pour Joe Biden doit la pousser à l'encourager à poursuivre sa campagne ou est-ce que, au contraire, elle devrait penser à la place que va laisser son mari dans l'histoire? Peut-être qu’un retrait -dans un moment aussi dangereux pour l'avenir de l'Amérique, serait la décision d'un homme d'État. Mais au final, la décision appartient à Joe Biden.

Joe et Jill Biden.
Joe et Jill Biden.

Alors si Jill parvenait à le convaincre ou si lui-même renonçait spontanément, qui pour le remplacer?

Alors imaginons que Joe Biden se retire après avoir exercé son mandat jusqu'à la fin, c'est-à-dire jusqu'au 20 janvier. Il pourrait dire «je me retirerai à la fin de mon mandat et donc pour le prochain mandat je soutiens Kamala Harris». Cela fait trois ans et demi qu'elle est à ses côtés et qu'il l'a choisi pour le remplacer en cas de défaillance. Donc je ne vois vraiment pas qui il pourrait soutenir d'autre. En plus, on ne l'imagine pas disant «Non, en fait, elle est un peu faible, je me suis trompée ces dernières années et j'écarte cette femme» au demeurant, issue même de deux minorités. C'est inenvisageable. Donc si Joe Biden se retire, à mon avis, il désignera Kamala Harris.

Mais est-ce qu'elle est populaire? On a l'impression que ce n'est pas du tout le cas.

Le poste de vice-président est très ingrat. La seule fonction constitutionnelle du vice-président ou de la vice-présidente, consiste à être là au cas où le président aurait une défaillance et ne pourrait plus exercer le pouvoir. Donc, avec cette fonction, vient l'obligation de se faire relativement discret. Il ne faut pas avoir l'air de vouloir prendre la place du grand chef. C’est un poste ingrat et j'ai rarement vu des vice-présidents ayant une grande popularité. Ce n'est pas leur travail.

Maintenant, il est vrai que Kamala Harris était jusqu'à présent assez bas dans les sondages, mais on voit qu'elle est beaucoup plus présente dans la campagne, pas simplement depuis une semaine, depuis plusieurs mois. Elle intervient beaucoup sur les questions de défense, de sécurité, l'avortement, l'éducation, la santé des femmes. Elle peut nous surprendre en bien parce qu'au fond on ne la connaît pas très bien.

Ensuite, au-delà de Kamala Harris, il y a vraiment beaucoup de talents au sein du parti démocrate, parmi des gouverneurs, les sénateurs. Certains se préparent pour 2028. Ils pourraient se déclarer maintenant, mais n'ont aucune envie d'apparaître comme le traître se révoltant contre un très bon président sortant, et qui de surcroît pourrait plomber encore davantage la chance des démocrates en novembre.

Peut-être un dernier point, depuis le débat Donald Trump est particulièrement discret, ce qui n'est pas quelque chose qui en général le caractérise. Pourquoi?

Donald Trump n'a même pas besoin de faire campagne. Évidemment, il ne peut que se frotter les mains en voyant le camp démocrate aussi divisé et donc aussi affaibli.

Pour lui, c'est une aubaine que Joe Biden maintienne sa candidature.

C’est certain. Imaginons que Joe Biden se retire. Il y a forcément un autre candidat, probablement Kamala Harris, mais ça pourrait effectivement être quelqu'un d'autre.

Tout d'un coup, cette nouvelle personne va donner un coup de fraîcheur dans une campagne qui est extrêmement morose. Cela suscitera de l'intérêt, ça va prendre beaucoup de place dans les médias. Donc Donald Trump n'a qu'à souhaiter que Joe Biden se maintienne.

11 juillet 2024