Kamala Harris, la «meilleure» démocrate face à Donald Trump
Entretien réalisé par Marie Duhamel - Cité du Vatican
Aux États-Unis, Joe Biden se retire. Il l’a annoncé dans une lettre dimanche et promet de s’en expliquer ce mercredi lors d’une prise de parole depuis la Maison Blanche. S’il n’est plus candidat à sa réélection pour la présidentielle du 5 novembre, qui pour le remplacer?
L’hypothèse d’une convention démocrate ouverte à la mi-août n’est pas exclue, mais semble de plus en plus improbable. En effet, la candidature de l’actuelle vice-présidente, adoubée par Joe Biden, semble se confirmer. Kamala Harris a reçu un appui massif de la part des donateurs, de nombre de gouverneurs, de personnalités influentes de son camp, mais surtout de milliers de délégués démocrates qui lui promettent leur soutien.
Tout porte à croire qu’elle sera la candidate désignée par le parti démocrate. Qui est-elle et peut-elle l’emporter dans quatre mois face à Donald Trump? Nous avons posé la question à Victor Bardou-Bourgeois, chercheur en résidence de l'Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand l’Université du Québec à Montréal.
Quels sont les premiers faits d’armes de Kamala Harris?
Kamala Harris est avocate de formation. Elle a commencé sa carrière en étant procureure générale de Californie. Il s’agit d’une fonction élective aux États-Unis, les procureurs d’État sont élus par la population. De ma compréhension des choses, elle a exercé cette fonction de manière assez modérée bien qu’elle ait été assez dure dans les peines prononcées lorsqu’il s’agissait par exemple de trafic ou de possession de drogue. Concernant son parcours professionnel, elle est ensuite devenue sénatrice de Californie, et c’est à ce moment-là que les projecteurs se sont braqués sur elle, en particulier lors des audiences en vue de la nomination de Brett Kavanaugh en tant que juge à la Cour suprême. Lors des audiences sur ses inconduites sexuelles de jeunesse, elle l’a cuisiné, et cela l’a propulsé sur la scène nationale. Dans la foulée, elle a tenté sa chance lors de la primaire démocrate de 2019-2020. Elle s’en était retirée après quelques mois, pour finalement accepter de devenir la vice-présidente de Joe Biden.
Certains vice-présidents ont pris le devant de la scène mais traditionnellement la fonction est ingrate. Ils ne doivent pas faire d’ombre au président. Le fait que peu de gens la connaisse, est-ce un atout ou une faiblesse?
On aurait pu la connaitre davantage, mais en même temps, c’est une force dans la mesure où parce qu’on vous connait moins, on peut vous découvrir et vous avez sans doute moins de cadavres dans votre placard. Prenons l’exemple de Joe Biden, il est facile en 50 ans de vie politique de trouver de mauvaises prises de décisions. Il n’a pas toujours été du bon côté de l’histoire. Dans le cas de Kamala Harris, ces moment-là sont moins nombreux. Un peu à l’instar de Barak Obama en 2008, on retrouve un peu le même canevas, d’une découverte progressive. Il y a une possibilité de surprendre l’électorat ou du moins de faire bonne figure, car l’opinion des électeurs est moins formée à ce moment-là.
Joe Biden aujourd'hui dit que c'est «la meilleure» candidate. Elle est désormais soutenue par de très nombreux gouverneurs, par des piliers du parti comme Nancy Pelosi ou Hillary Clinton, ou encore par l’acteur George Clooney. Il faut évidemment faire l’unité –au moins dans son parti- pour l’emporter. Peut-elle faire l’unité?
Elle a l’opportunité de rallier le parti, d’autant plus que depuis deux ans, et les sondages étaient assez clairs là-dessus, les électeurs, même au sein de son parti, trouvaient Joe Biden trop vieux, estimant qu’il n’était plus en pleine possession de ses moyens. Le simple fait de remplacer Joe Biden par une personnalité plus jeune rassure l’électorat. Cela vient aussi galvaniser au sein du parti parce qu’on passe d’une élection qui était moribonde à un ticket probablement plus encourageant, et plus intéressant parce qu’en fait on transforme cette élection en une possible élection historique. Si Kamala Harris venait à gagner le ce scrutin, elle serait la première femme à devenir présidente des États-Unis, mais aussi la première femme de couleur. Cela donne une motivation nouvelle au sein des différentes factions du parti pour se mobiliser et on l’a vu dans les 24 heures après l’annonce d’une candidature, il y a eu un nombre –je pense record- de dons politiques qui ont été recueillis et un nombre de bénévoles record qui se sont présentés pour pouvoir travailler à la campagne de Kamala Harris. Il y a un engouement qui n’existait pas lors de la campagne de Joe Biden. Cela semble avoir re-énergisé la campagne démocrate qui était depuis les primaires un peu au point mort.
Une nouvelle dynamique s’est enclenchée, mais comment fait-on quand on n’est pas un homme blanc pour l’emporter? Quel électorat mobiliser pour gagner?
Dans le cas du parti de démocrate, la stratégie de Kamala Harris ne va pas nécessairement changer à rapport à celle de Joe Biden, c'est-à-dire de marteler le programme économique de l'administration, qui est un des programmes les plus progressistes depuis les années 1960 en termes de développement économique, de construction d'infrastructures puis de création d'emplois. Un autre argument fort du parti démocrate est le droit à l’avortement.
Ce que j'entends en creux, c'est qu'on s'adresse aux femmes et aux jeunes. J'imagine aussi que le fait qu'elle soit elle-même afro-américaine d'origine indienne aura un impact sur les minorités.
C'est sûr. À la base, l'équipe de campagne campagnes de Joe Biden en 2020 a choisi Kamala Harris pour consolider la base d’électeurs afro-américains aux États-Unis. C'est une manière de contrebalancer les faiblesses du candidat. Dans le cas de Joe Biden, cela servait trois choses : avoir une personne plus jeune que lui, une femme, mais aussi de consolider les appuis au sein de la base démocrate, particulièrement celui du bloc afro-américain.
Qui pour la seconder?
C'est la grande question: qui sera choisi pour le poste de vice-président? Les noms qui émergent sont surtout ceux de gouverneurs démocrates en poste dans des États qui seront des champs de bataille. On pense par exemple au gouverneur du Kentucky, Andy Beshear, un jeune démocrate qui a su gagner deux élections pour le poste de gouvernement dans un État qui est traditionnellement républiCain. Il y a aussi le gouverneur de Pennsylvanie, Josh Shapiro qui, s'est fait élire il y a deux ans contre un candidat républicain dans cet État qui sera lui aussi un champ de bataille. D'autres noms émergent, comme ceux du sénateur de l’Arizona, Mark Kelly, un démocrate modéré dans un État historiquement républicain. Donc l'idée ici je pense est d'aller chercher un candidat masculin. Je pense un homme blanc, quelqu’un qui a su être compétitif et même gagnant dans des États traditionnellement républicains.
Pourquoi serait-elle «la meilleure» face au candidat républicain Donald Trump? Quels sont ses atouts et ses faiblesses?
Il y a comme un un contraste assez évident entre les deux candidatures. Vous avez Donald Trump, un candidat âgé, et son adversauire une jeune femme de couleur, avocate de carrière, une procureure. Et cette carrière, surtout de procureure générale, est intéressante. Vous avez une candidate qui a littéralement poursuivi des criminels et son adversaire Donald Trump, qui fait lui-même face à plusieurs accusations criminelles et qui a été reconnu coupable de différents crimes depuis quelques années. Le contraste est fort.
Il faut aussi noter un autre point perceptible, pas seulement chez Donald Trump, mais dans tout le camp républicain: depuis l’annonce de la candidature de Kamala Harris, et que sa candidature se cimente, les mauvais réflexes du camp républicain réapparaissent. On voit circuler des discours particulièrement racistes et misogynes en ligne.
Et la réalité de ce qu'on sait des enquêtes de terrain ou des sondages, c'est que lorsque le Parti républicain tombe dans ces tendances-là, les électeurs modérés le perçoivent avec une certaine forme de répugnance. C’est très impopulaire. C'est une candidature qui les désavantage sur le plan de l'image, et qui aussi font ressortir leurs pires réflexes. Aujourd’hui, cela a franchi le mur numérique et cela vient dans l'espace public réel. Cela risque de faire peur à bien des électeurs modérés.