Pacem in Terris, 60 ans et un héritage diplomatique toujours pertinent

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican 

Pacem in Terris, une encyclique sur la paix entre les peuples et les nations, marquera soixante ans d’existence le 11 avril 2023. Dernière encyclique du pontificat Jean XXIII, parue Jeudi Saint 11 avril 1963 -deux mois avant la mort du Pape italien-, le Pape François s’en est largement inspiré pour son discours de vœux au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, lundi 9 janvier dernier. 

Pour le Souverain pontife argentin, ce texte historique «du bon Pape» Roncalli fait écho à la période actuelle, en proie aux menaces nucléaires tout comme en 1963. Décryptage de ce document-clé pour la diplomatie pontificale des XXe et XXIe siècles, avec père Pierre de Charentenay sj, sociologue et politologue. 

Quelle est la genèse et le contexte de l’encyclique Pacem in Terris?

Le contexte historique de l’encyclique est dangereux et problématique: l’érection du mur de Berlin en 1961, la crise des fusées à Cuba en 1962; Nikita Khrouchtchev voulait mettre des missiles nucléaires sur Cuba, ce que le président John F. Kennedy ne pouvait accepter. La menace nucléaire était à son comble. Jean XXIII a donc voulu ce texte pour préparer l’opinion à une recherche de la paix approfondie. En 1963, nous sommes aussi en plein milieu du Concile Vatican II. Pacem in Terris est un document capital en ce qu’il reflète tous ces événements.

Quelle conception de la paix sous toutes ses formes Jean XXIII y propose-t-il, quel est son raisonnement?

Il propose une conception très large de la paix. Il explique en préambule que la paix est un sentiment personnel et intérieur, vécu par les individus, mais qu’elle recouvre aussi le type de relations pouvant exister entre les pays, qui, si elles se dégradent, peuvent se transformer en guerre. Une vision très large de la paix que Jean XXIII va affiner pour se tourner essentiellement vers la paix internationale et la paix entre les différents pays, dont il donne les conditions fondamentales: vérité, justice, charité, liberté.

Quelle place trouve l’encyclique dans la doctrine sociale de l’Église?

Elle a une place très particulière dans le sens où elle prend des initiatives considérables. La première est le rapport aux droits de l’homme. Ils ont toujours représenté une difficulté pour l’Église qui les a souvent condamnés. L’ONU a écrit en 1948 une déclaration des droits de l’homme, et ce sera la première fois que l’Église, par la voix de Jean XXIII, prend position sur cette déclaration de 1948, affirmant qu’il s’agit d’un pas très important vers un ordre juridique de la communauté internationale. Il perçoit ce texte comme très positif, alors que précédemment l’Église nourrissait une sorte de crainte que souligner les droits de l’homme équivalait à supprimer les droits de Dieu. Or, il n’en est rien.

Jean XXIII va beaucoup insister sur les devoirs des chrétiens, les devoirs de tout homme, car cette encyclique s’adresse à toute personne. Le fait qu’il y ait cette mention aux droits de l’homme et ce développement autour de cette déclaration de 1948 est une étape très importante pour l’Église. Jean-Paul II a été explicite sur ce sujet, le rappelant de nombreuses fois. Son origine polonaise dans un régime marxiste, où les droits de l’homme et la liberté n’étaient pas du tout respectés, font qu’il a lui-même appuyé ce que Jean XXIII avait déjà porté, afin de renforcer ce travail des chrétiens pour la défense des droits de l’homme. Les chrétiens y ont leur part et doivent y travailler.

Quels sont les points novateurs de l’encyclique?

Elle est novatrice aussi sur la question des institutions internationales. Jean XXIII va parler d’une autorité mondiale représentée par l’ONU, dont le Pape encourage le travail, tout en étant conscient de ses limites. Ces questions autour d’une autorité mondiale ont déjà été discutées, par Pie XII, par le jésuite italien Taparelli. Il y a cette petite tradition autour de l’autorité mondiale que le Pape Jean XXIII a appuyé et tenté de détailler, sachant que l’ONU ne correspondait pas tout à fait à ce qu’il aurait souhaité. L’ONU est une assemblée de pays qui ne fonctionne que s’il y une bonne volonté de la part de tout le monde. Or, certaines grandes puissances ont toujours des instincts de grandes puissances, comme c’est arrivé pendant la guerre froide. À la fois l’ONU a des limites, le Pape s’en rend compte, et en même temps, c’est le seul lieu d’une possible autorité mondiale.

Quelle a été la réception du texte au sein de l’Église et dans les milieux internationaux?

Elle a suscité des réactions très positives. Le Pape abordait un sujet intéressant pour tout le monde, de façon positive, sans condamner personne, donc cela a eu un impact considérable, d’autant plus que le moment était particulièrement tendu sur des questions fondamentales comme le nucléaire. En 1962, le monde était au bord d’un éventuel conflit nucléaire, donc que l’Église s’empare de ce sujet et que le Pape livre des pistes de travail contre cette guerre nucléaire est évidemment tout à fait intéressant.

Soixante ans après, à l’aune de notre époque et de ses propres guerres, comment le Pape François peut-il faire parler ce texte? Notre époque lui serait-il audible?

Plus que jamais. Le désarmement est indispensable, la culture des droits de l’homme s’est établie mais l’on voit bien qu’elle est parfois bafouée par l’exercice de la force d’un certain nombre de pays. La guerre en Ukraine invite à une réflexion sur la paix, et nous montre la complexité de cette réflexion: combien il faut rappeler aux belligérants le respect des questions de justice, liberté, vérité. Cette répétition de la part de l’Église est indispensable.

En quoi l’enseignement de Pacem in Terris apparaît-il prophétique et visionnaire?

Jean XXIII a été à l’origine d’un vrai tournant de l’Église. Il prend une position par la suite explicitée par Paul VI: «l’Église, experte en humanité», qui peut parler de réflexion fondamentales, inviter toute personne à s’interroger sur sa pratique et sur la construction d’un monde qui puisse être meilleur. Il y a là une nouveauté de Jean XXIII qui sera reprise par le Concile, notamment la grande constitution sur le rapport avec le monde, Gaudium et Spes.