Présentation des lettres de créance de Martin Selmayr, nouvel ambassadeur de l'Union européenne près le saint-Siège. Présentation des lettres de créance de Martin Selmayr, nouvel ambassadeur de l'Union européenne près le saint-Siège.  (VATICAN MEDIA Divisione Foto)

Martin Selmayr: «l'Union européenne est un projet de paix»

Dans un entretien accordé aux médias du Vatican, le nouvel ambassadeur de l'Union européenne près le Saint-Siège est revenu sur des questions telles que «la valeur de l'histoire, qui nous enseigne que la véritable solution aux problèmes découle d'une vision commune, et de la nécessité de rechercher une paix juste».

Christine Seuss – Cité du Vatican

Né à Bonn, en Allemagne, Martin Selmayr fêtera ses 54 ans le 5 décembre prochain. Parmi les responsabilités énumérées dans son impressionnant CV, figure celle de secrétaire général de la Commission européenne. Jeudi 3 octobre, il a été reçu en audience par le Pape François à qui il a présenté ses lettres de créance en tant que nouvel ambassadeur de l'Union européenne (UE) près le Saint-Siège.

Dans une interview accordée aux médias du Vatican, le diplomate évoque l'histoire, les valeurs et le rôle que joue l'Union européenne sur la scène internationale, dans une période particulièrement critique.

Le Pape François appelle inlassablement à la paix dans le monde, et il a récemment mentionné l'Union européenne, en particulier, comme un modèle responsable de l'instauration de la paix. Dans quelle mesure l'Union européenne se voit-elle dans ce rôle? Et comment considère-t-elle le Pape comme un partenaire de la cause de la paix?

Historiquement, l'Union européenne est, et a toujours été, un projet de paix. L’UE vise à surmonter des siècles de guerre entre les pays européens en travaillant ensemble au-delà des frontières et en résolvant les conflits et les divergences de manière pacifique, par le biais d'institutions communes et d'intérêts partagés. C'est l'essence même de l'Union européenne, et c'est un projet remarquablement réussi. Les 27 États membres de l'UE n'ont jamais connu de guerre depuis qu'ils ont rejoint l'Union européenne, et c'est un résultat que l'UE a obtenu.

J'ai grandi à la frontière franco-allemande, où l'on peut encore voir des traces de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, sur le terrain et dans la nature, en particulier dans des endroits comme Verdun. Pourtant, aujourd'hui, nous nous rendons de l'autre côté de la frontière sans même la reconnaître, si ce n'est pour y trouver une meilleure nourriture ou un plus beau paysage. C'est la force de l'Union européenne. L'idée selon laquelle il est possible de surmonter les différences, les conflits séculaires et les haines profondes en travaillant ensemble est le message d'espoir de l'UE.

N'est-il pas remarquable que le projet européen, avec la déclaration Schuman, soit né cinq ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale? Cinq ans après l'assassinat de citoyens français par des Allemands, la France a tendu la main à l'Allemagne par le biais du plan Schuman, réunissant les industries de l'acier et du charbon pour s'assurer qu'elles ne se feraient plus jamais la guerre. Si ce n'est pas un message d'espoir en ces temps sombres, où certains sont désespérés, alors je ne sais pas ce que c'est. Si l'on compare ce qui a été possible dans l'Union européenne à l'époque, je pense que c'est également possible aujourd'hui, et cela devrait nous donner l'espoir que la diplomatie, la collaboration et la recherche de solutions communes, même entre des partenaires apparemment incompatibles, valent la peine d'être mises en œuvre. Nous ne devrions jamais nous en lasser.

Le fait que le Pape François appelle constamment à la paix, comme vous le dites à juste titre, est une bonne motivation pour poursuivre nos efforts. Il a son rôle, et la diplomatie politique a le sien, mais il est important que nous nous écoutions les uns les autres et que nous ne nous lassions pas de chercher des solutions pour la paix. Mais la paix doit être une «paix juste». C'est très important. Nous ne devons pas rechercher la paix à tout prix, mais plutôt une paix qui soit juste et qui ne récompense pas les guerres d'agression. C'est un point crucial lorsque nous parlons de paix.


Où voyez-vous les dangers pour l'unité de l'Union européenne, tant évoquée, qui est encore en évolution?

Nous devons travailler chaque jour à l'unité de l'Union européenne parce que nous sommes 27 États membres. Cependant, ceux qui parlent constamment de désunion oublient que nous sommes très unis sur 96 % des questions. Les prophètes de malheur ont souvent qualifié l'UE de moribonde, mais en réalité, l'Union européenne est toujours là et reste unie.

Je le constate directement ici, à Rome, dans les agences des Nations unies, où 27 États membres et institutions des Nations unies travaillent ensemble sur des solutions communes, comme la sécurité alimentaire par l'intermédiaire du Programme alimentaire mondial (PAM) ou de l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Je le vois également dans notre réponse unifiée à la guerre d'agression de la Russie. Beaucoup doutaient que nous puissions rester unis et continuer à renouveler les mesures restrictives tous les six mois, mais nous le faisons maintenant depuis plusieurs années. Notre unité est bien plus forte qu'on ne le pense, et les avantages de l'appartenance à l'Union européenne, de l'appartenance à l'équipe Europe, l'emportent largement sur l'option de faire cavalier seul. Même les plus sceptiques finissent par rejoindre l'équipe Europe. C'est dans cet esprit que nous travaillons.

Cependant, l'unité ne va pas de soi. Elle nécessite des efforts quotidiens. Mais je n'ai pas perdu espoir, je vois cette unité à l'œuvre tous les jours.

L'un des grands sujets de discorde est peut-être l'accueil des réfugiés dans l'Union. Quelle est, selon vous, la contribution du Pape à cette question?

Le Pape a rappelé à l'Europe, à juste titre et avec constance, que nous sommes l'un des continents les plus riches du monde et que, par conséquent, nous avons le devoir moral et la responsabilité d'offrir un refuge à ceux qui fuient la guerre, l'agression et la terreur. C'est le fondement de la politique migratoire de l'Union européenne.

Dans le même temps, nous devons reconnaître que nos 27 démocraties sont sous pression, et il n'est pas bon que ces démocraties s'affaiblissent en relevant le défi de l'immigration. Nous devons trouver un équilibre entre la nécessité d'offrir à nos citoyens la sécurité et la stabilité dans leur vie personnelle et la nécessité de poursuivre le travail humanitaire accompli par l'UE. Le droit fondamental d'asile doit rester au cœur de nos politiques, même si cette question est bien plus complexe qu'il n'y paraît. Ceux qui prétendent qu'il existe des solutions faciles aux défis actuels de l'immigration et de l'asile ne disent pas la vérité. Il faudra travailler dur chaque jour, et il est bon que le Saint-Père nous rappelle l'importance de l'humanité et de la solidarité dans ce processus. Dans le même temps, nous devons être réalistes quant aux capacités de nos sociétés et nous assurer que nous avons les moyens d'intégrer ceux qui viennent sur notre continent. C'est le revers de la médaille.

Quelle est la position actuelle de l'Union européenne sur la scène internationale?

Bien que l'Union européenne ait plus de 70 ans, sa politique étrangère et de sécurité commune est relativement jeune. Elle n'existe sous sa forme actuelle -avec des ambassades dans le monde entier et un ministre des affaires étrangères commun- que depuis le traité de Lisbonne, il y a 15 ans. À bien des égards, nous n'en sommes qu'au début et nous devons faire preuve de patience. Ce n'est que récemment que nous avons commencé à prendre des décisions communes en matière de politique étrangère, et c'est un défi car la politique étrangère est au cœur de la souveraineté nationale.

Les États membres ont des histoires différentes et la réconciliation de ces différences prend du temps. Par exemple, un Allemand ou un Autrichien peut voir le conflit au Moyen-Orient différemment d'un Irlandais, d'un Espagnol ou d'un Slovène. Ces diverses perspectives reflètent les expériences uniques de chaque État membre. Nous devons apprendre les uns des autres, écouter et travailler à l'élaboration d'une politique commune. Cela demande des efforts, et certains ont dit à juste titre que le rôle du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l'UE était l'un des plus difficiles au monde.

Je me félicite des efforts déployés par Josep Borrell au cours des cinq dernières années. Aujourd'hui, nous avons un nouveau ministre des affaires étrangères de l'UE, l'ancien Premier ministre estonien, un dirigeant fort et engagé qui apportera de nouvelles perspectives. Cette diversité de points de vue est exactement ce dont l'Europe a besoin. Bien que le processus soit parfois frustrant, nous devons nous rappeler que la politique étrangère de l'UE n'en est qu'à ses débuts. Nous sommes dans l'adolescence, nous devons donc être patients et continuer à travailler ensemble pour renforcer cette politique. Je suis convaincu que l'Union européenne a un rôle vital à jouer, non seulement en tant que bailleur de fonds de l'aide internationale, mais aussi en tant qu'acteur sur la scène mondiale. Cela prendra du temps, mais nous devons rester patients.

Dans quelle mesure l'Union européenne répond-elle à son ambition de placer la personne au centre, y compris d'un point de vue économique?

Le modèle économique de l'Union européenne est une économie de marché sociale et écologique. Si l'économie de marché est à la base de notre système -parce que nous devons générer des richesses pour maintenir nos systèmes de sécurité sociale et nos efforts d'aide humanitaire- elle s'accompagne d'une responsabilité sociale, d'une durabilité environnementale et d'un engagement en faveur des droits de l'homme.

Au cours de la dernière décennie, l'UE a évolué vers une économie de marché responsable. Certes, nous nous appuyons sur le commerce et la coopération économique transfrontalière, mais nous accordons également la priorité à la durabilité et alignons nos politiques sur les objectifs de développement durable des Nations unies. C'est ce qui ressort de notre travail avec l’ONU ici à Rome, où l'UE promeut constamment des politiques qui soutiennent non seulement la prospérité économique, mais aussi le bien-être environnemental et social. En tant que l'une des régions les plus riches du monde, l'UE se doit de montrer l'exemple, et en assumant cette responsabilité, nous pouvons encourager d'autres parties du monde à faire de même.

Comment s'est déroulée votre rencontre personnelle avec le Pape François?

Rencontrer le Pape François est sans aucun doute l'un des moments les plus spéciaux qu'un diplomate puisse vivre. Lui remettre ses lettres de créance n'est pas seulement une cérémonie officielle, c'est un moment profondément personnel et humain. L'atmosphère qu'il crée, à travers sa personnalité et la chaleur de sa présence et de celle de ses collaborateurs, rend cette rencontre inoubliable. Il ne s'agissait pas seulement de remettre une lettre, c'était un événement profondément personnel, dont je me souviendrai toujours.

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05 octobre 2024, 09:47